La Voie Appienne
Au temps rude et stoïque où l’on savait mourir
Sans plus rien regretter et sans plus rien attendre
Où l’on brûlait les morts, ne gardant que leur cendre,
Afin que rien d’humain n’eût l’affront de pourrir ;
Avant que pour jamais la nuit des catacombes
Eût posé sur le monde un crêpe humide et noir,
Et que la foi,-mêlant la terreur à l’espoir,
Eût mis l’éternité douteuse au fond des tombes,
Les tombes n’étaient point d’un abord odieux :
Les Romains qui sortaient par la porte Capène
Sur la voie Appia marchaient, voyant à peine
Ces antiques témoins qui les suivaient des jeux.
Un chaud soleil dorait les dalles de basalte,
Et dans cette campagne au grand sourire clair,
Ces monuments pieux et sereins n’avaient l’air
Que d’inviter la vie à quelque heureuse halte !
Ils ne promettaient pas un royaume infini,
Mais un abri solide au vieux nom de famille ;
Celui que Métellus a bâti pour sa fille
Servit de forteresse à des Caétani.
Et maintenant, maigre les injures sans nombre,
Les coups du nouveau peuple et de son nouveau dieu,
La ruine est encore assez haute en ce lieu
Pour couvrir une armée en marche de son ombre ;
Et le long du chemin, rangés sur les deux bords,
Gisent des bustes blancs aux prunelles funèbres
Où lé sable et la pioche ont mis plus de ténèbres
Que la corruption dans les yeux des vrais morts.
Dans les champs d’alentour qu’agrandit leur détresse
Errent le pâtre antique et l’antique troupeau,
Et parfois, sur le ciel, au-dessus d’un tombeau,
À la louve pareil, un grand chien noir se dresse.
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