Éternels Éclairs

Témoignage d'un Accident Vasculaire Cérébral (AVC) :
Bon coeur et mauvais sang, Partie II

Témoignage AVC

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Stéphen Moysan,
printemps 2016 - printemps 2017

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Ce livre est un témoignage.

Cependant l’auteur juge utile de préciser
qu’Elisabeth est en réalité deux personnes
distinctes dont les histoires ont été réunies.


Merci pour votre lecture.

34. En psychiatrie

Père et mère m’ont affirmé avoir été retenus le soir de ma « bouffée délirante ». « Rien de grave ne s’est produit, tu as divagué, cela arrive » m’ont-ils dit. Comme si cet épisode de ma vie était quelque chose de commun et que Dieu vous parlait tous les jours. Qui a déjà vécu ce genre de situation ? Et que fait-elle de moi ? Je n’ai plus confiance en personne pour m’aider à résoudre mes problèmes. J’aime profondément mes parents mais je les considère en partie responsables de mon enfermement. La prolongation de mon séjour à l’hôpital était leur choix, pas le mien. Et dorénavant je crains d’y rester longtemps, défoncé aux médicaments. Je leur en veux. Pourquoi en serait-il autrement ? Ils n’envisagent même pas la possibilité que ce que j’affirme puisse être avéré. Je suis seul. Et à quoi bon communiquer lorsqu’on ne peut pas convaincre ? Car soit ils ne m’écoutent pas, soit ils ne me croient pas. J’ignore laquelle de ces deux solutions est la pire. Je me sens faible de ne plus savoir parler, néanmoins je décide de répondre aux questions hebdomadaires du psychiatre car j’aspire à quitter cette prison médicale. Il paraît impossible de s’échapper, les fenêtres sont clôturées par des barreaux et la porte de sortie est bloquée. Du coup, je ne m’aventurerai pas à fuir, c’est une alternative vouée à l’échec.

35. L’entretien

Vous pouvez posez vos questions docteur, je suis prêt. « - D’accord, commençons. Pourquoi n’acceptez-vous pas de séjourner en psychiatrie pour vous reposer M. Moysan ? » Sincèrement, je pense que je me reposerais mieux chez moi. De plus, personne n’ignore qu’être ici n’est pas bon signe ; et je n’échappe pas à la règle. « - Que vous est-il arrivé ? » Je vous l’ai dit : un AVC sévère, lisez les comptes rendus médicaux. « - C’est votre avis qui m’intéresse. » (Silence) « - Vous ne me répondez pas ? » Si mais vous ne me posiez aucune question. « - Que ressentez-vous ? » Joie et colère, espérance et peur, savoir et ignorance. « - Ce ne sont pas tous des émotions. » Exact. « - Pourquoi votre AVC est-il sévère ? » Il a touché quatre zones de mon cerveau. « - Vous auriez pu dire, j’ai subi un grave AVC. Vous avez dit sévère. » Le manque du mot. « - Je ne crois pas, non. Vous trouvez injuste la situation dans laquelle vous êtes. » Est-elle juste ? « - Elle est, parce que vous êtes en vie ; c’est tout. » Et vous voulez savoir si je suis heureux de l’être ? « - L’êtes-vous ? » Dans ma situation, j’ignore quelle réponse ne me ferait pas passer pour fou ? « On n’emploie pas ce terme parmi nous, vous savez ? » D’autres le font. « - Peut-être, mais ils se trompent. Et il est inutile de les imiter. »

36. Incompréhension et peur

Au début de mon séjour en psychiatrie, je me sentais tellement différent des autres internés, en majorité des bipolaires et schizophrènes, qu'ils me faisaient peur. Du coup, j'étais persuadé de ne pas être à ma place. Un séjour de repos, voilà de quelle manière on m'avait vendu cette garde à vue médicale. Mais n’aurais-je pas été fou de le croire ? La nuit, je mettais des boules Quies afin de ne pas les entendre crier ; ils hurlaient si fort, qu’ils en étaient effrayants. Certains disent que, comme des appels à l’aide, ces cris terrifiants vous glacent le sang, vous hérissent le poil, et d’autres choses plus imagées encore. Curieusement, ça m’a réduit au silence. J'en ai vite conclu, afin de sortir de là rapidement, que se taire représentait un signe de bonne santé pour les médecins. D’ailleurs, le manque du mot ne me permettant pas de m’exprimer convenablement, je ne parlais plus qu'à la demande d'autrui. J’ajoute également qu’en ces lieux j’ai craint de devenir prisonnier de ce que j’étais : de ma nature rebelle, de mon envie de lutter contre leur pratique de privation de liberté. J’imaginais qu’ils auraient pu s’en servir contre moi. Une expérience n’a t-elle pas démontré un jour qu’il suffisait qu’un expert proclame fou quelqu’un qui ne l’était pas pour que tout le monde le croit ?

37. Dernier arrivé, premier sorti

Allez savoir dans certains cas qui est le plus fou des deux, le médecin qui interne dans le but de guérir ou le patient qui extériorise puisqu’il veut sortir ? J'avais tendance à penser à l’époque que la vraie utilité d'une prison psychiatrique était plutôt de protéger ceux qui sont à l'extérieur, car comment un individu privé de tout ce qui le responsabilise pouvait-il retrouver raison ? Néanmoins il me faut avouer que ce type de réflexions était une forme d’auto-défense et que le personnel présent a tout fait pour que j'en sorte rapidement. Durant mon séjour, ils m'ont même créé des activités particulières afin que je ne m'identifie pas aux autres internés. J’ignore combien de fois ont été prononcées les phrases « vous êtes ici pour vous reposer » ou « venez faire une activité avec nous ». Certainement beaucoup. Je n’ai pas toujours refusé au début et j’ai souvent accepté vers la fin, ce qui a conduit d’autres patients à réclamer également ces activités et temporairement du moins à les obtenir. Au fil du temps, une semaine peut-être, j’ai fini par accepter où j’étais et échanger avec les patients qui le pouvaient ou le voulaient. La plupart étaient sur la défensive et se méfiaient des nouveaux venus, mais ils n’avaient qu’une envie : quitter définitivement ces lieux, ce que je ferai au terme de quinze jours parmi eux.

38. La grande malade

J’ai maintenant une promesse à honorer. Il me faut parler d'une folle, une grande malade, elle souffrait de trois cancers et chacun d'eux hélas était mortel. De mémoire je dirais celui du poumon, du pancréas, et … je ne me souviens plus du dernier. Il lui restait moins d'un an à vivre. Elle avait toujours le sourire teinté d’une grande gentillesse, et avait donné son corps à la science de son vivant pour être l'objet d'étude. Elle ne pouvait pas guérir, et elle n’en était pas effrayée. Pourquoi ? Tu as entendu Dieu me dit-elle, et bien moi je crois en lui. Je n’ai donc pas peur. La mort n’est qu’un passage vers un ailleurs meilleur que je suis prête à découvrir, mais le plus tard possible et après avoir lutté contre, pour le bien d’autrui. Elle semblait si convaincue, que je lui demandais quelle force pouvait l’animer ? Elle me retourna la question. Comment après ce que j’avais vécu, je pouvais ne pas l’être ? Je suis peut-être fou, lui répondis-je. Non tu ne l’es pas, tu es triste, et tu te sens seul, voilà tout. Apprendre à être heureux, c’est compliqué tu sais. Ce n’est pas parce que tu te mets toi-même dans le malheur, que Dieu doit t’en sortir. Cette phrase résonna en moi comme si c’était une vérité impossible à refuser qu’il me fallait accepter. Mais je m’y soustrayais. Car n’était-ce pas Dieu qui me faisait souffrir ?

39. Un trésor caché

Aussi insensé que cela ait pu paraître à quelques-uns de mes proches, avoir entendu Dieu devenait une source d’angoisse pour moi et non d’apaisement. J’avais toujours nié son existence par le trop plein de malheurs qui existaient ici bas, comme si prononcer son nom impliquait qu’il soit forcément le défenseur de la paix et le gardien du bonheur sur Terre. En était-il autrement ? Et me poser cette question me damnait-il ? Puisqu’il m’avait parlé une heure durant et que son message était apaisant, pourquoi étais-je toujours incapable d’en saisir le sens ? Les médecins m’ont proposé la venue d’un croyant de mon choix pour discuter. Mais que m’apporterait-il de plus que ce qui m’avait déjà été offert ? Dieu m’avait parlé et ce serait un autre qui me ferait comprendre ? Ils sont vraiment incapables de m’aider. Et j’en souffre. Pire, j’aimerais que tout le monde connaisse celui qui s’est adressé à moi avec cette langue si belle que l’imaginer m’aurait été impossible. Et l’on me refuse l’accès à ce qu’il a écrit par mon biais. Ont-ils le droit d’agir ainsi ? Jamais je n’ai supposé qu’ils aient jeté le texte rédigé sans me l’avouer. Celui-ci est bien trop important à mes yeux, et il ne viendrait à l’idée de personne de se débarrasser d’un trésor. Pour ma part, je pense qu’ils me le cachent.

40. Questions – Réponses du moment

Dans la mesure du possible, et mon esprit ne réfléchit ni vite ni bien pour le moment, j’essaye d’apporter des réponses aux questions qui m’habitent. Ainsi pour la première d’entre-elles : - Dieu existe-t-il ? Je pense que tant que la preuve vient à manquer, et elle manque toujours, il s’agit souvent d’un sujet où l’on est incapable d’écouter ceux qui s’opposent à nous. D’où mon désir de retrouver ce que j’ai écrit par l’intermédiaire de Dieu. Victime du manque du mot, le vocabulaire employé et le style inédit sans ponctuation pourraient prouver une intervention divine. Par la suite, en admettant son existence comme mon expérience m’y a conduit, je me demanderai pourquoi a-t-il choisi de s’adresser à moi ? Je ne suis qu’un homme ordinaire, prétentieux peut-être, mais pas au point de croire que je suis le plus à même de suivre sa volonté. Et incapable de parler correctement, comment envisager que je puisse retransmettre son message : Les politiques qui sont menées, nous conduisent vers des périodes de troubles importants ? Je suppose que son désir était que l’Homme s’améliore de lui même et qu’il apprenne par expérience. Dieu, du moins celui que j’ai entendu, ne formulait pas d’ordre mais prodiguait des conseils que la sagesse oblige à écouter. Et l’un d’eux était qu’il ne fallait pas nuire à autrui en son nom.

41. Les vertus du silence

J’ai mis beaucoup de temps avant d’accepter que les idées par moi défendues ne soient pas recevables, non par conséquence du manque du mot mais par médiocrité de la pensée affirmée. Je suppose que la plupart des gens sont victimes de leurs certitudes et qu’elles empêchent la possibilité d’un vrai dialogue. En fait, je me suis aperçu que même chez les personnes les plus intelligentes que je connaisse, parler avait pour but de convaincre et non d’écouter. Cependant si nul ne fait l’effort de comprendre ce qu’autrui a à dire, alors le dialogue devient inutile. Je m’énervais de perdre les batailles idéologiques pour lesquelles je m’engageais avant que garder le silence ne devienne un atout pour moi. Ainsi, forcé à me taire par mon séjour en psychiatrie, j’appris les côtés positifs d’une telle situation. Savoir écouter est une aussi grande qualité que savoir parler. Et ce n’est qu’après avoir assimilé cette leçon que je me remis progressivement à essayer de communiquer. Je me rendis alors compte que les autres souffraient du même défaut que moi, convaincre et non partager, voilà à quoi sert la parole pour la majorité des gens. Dans certains cas, nos souffrances s’allégeraient si l’on était capable de s’entendre ; et nous pourrions essayer de nous accorder pour produire autre chose que nos dissonances.

42. Compte-rendu d’hospitalisation

Parce que j’ai saisi que vouloir avoir raison sur tout, le plus souvent nous donne tort ; je décide de défendre des idées que parfois je n’ai pas, afin de mesurer la qualité de celles-ci. Mes proches sont surpris. Ils ne comprennent pas ma nouvelle façon de penser. Mais sous l’emprise des médicaments et des séquelles de l’AVC, ce projet est trop ambitieux pour tenir, et il me faudra le reporter à plus tard. En attendant, je suis renvoyé en rééducation neurologique, au service de réadaptation, avec l’évaluation psychiatrique suivante : « à l’admission, le patient est de présentation correcte avec une sédation importante et un contact partiellement réticent. Il ne présente pas de syndrome délirant ou dissociatif. Il est euthymique. Au cours de l’hospitalisation le traitement sédatif par Loxapac et Valium est progressivement diminué. Le patient critique l’état délirant de thème mystique auquel il fut confronté et ne présente plus de vécu persécutif. Conclusion de sortie : Bouffée délirante aigue en rémission complète sous médicament Risperdal 4 mg dans un contexte d’accident vasculaire cérébral à J20 chez un patient de trente trois ans qui fut consommateur de cannabis. » À la remise en main du document, j'ai demandé des informations sur les éventuelles critiques que j’aurais formulées. Je n’ai eu aucune réponse.

43. Retour en rééducation neurologique

Bien que celui-ci me stressait, mon retour dans le service de la détestable docteur P se déroule comme si je ne l’avais jamais quitté, aux exceptions près de mon changement de chambre et du départ de l’ingrat. Ce dernier est maintenant rentré chez lui, ce qui facilite amplement ma réintégration avec les autres patients. Je suis soulagé, j’ignore quelle aurait été ma réaction en le rencontrant. Mon temps en cellule de rééducation n’est pas défini, mais je ne me fais aucune illusion, plus d’un mois supplémentaire sera nécessaire. Mon nouveau voisin de chambre est fort plaisant et mal chanceux. Il a été renversé en scooter par une voiture qui ne s’est jamais arrêtée. Deux mois de coma, une dizaine d’opérations alternant entre ablation et réparation de certaines parties du corps, et une rééducation ardue, ont altéré sa confiance quant à sa sortie programmée de l’hôpital mais pas sa joie de vivre. Par conséquent, revenir à deux dans une chambre, même si elle est glauque, ne me dérange pas outre mesure. De plus, ajoutons qu’Emilie et Eric Z sont toujours là, comme la plupart des autres patients. Et précisons également, qu’il m’a été demandé avec insistance par l’orthophoniste de parler d’avantage au quotidien afin de faciliter ma progression. Je m’efforcerai donc à suivre ses conseils.

44. L’embolie pulmonaire

Près d’un mois plus tard, alors que tous les tests médicaux sont supposés avoir été accomplis avant mon passage chez les fous, un dernier examen qui ne servira certainement à rien m’a-t-on dit, a été programmé. Il y a moins d’une chance sur un million pour qu’il s’avère utile et il n’aurait même pas été effectué si j’étais sorti de l’hôpital comme prévu avant ma bouffée délirante, dixit les membres du personnel médical en poste ce jour là. Mais puisque je suis encore ici, rien n’empêche de le pratiquer et ainsi « on sera sûr et on se rassure ». Ils aiment bien ce genre de phrases faciles, les soignants. Personnellement, cette manière de présenter les choses m’inquiète. Mais ai-je vraiment le choix ? De toute évidence, non. Aussi, ils avaient raison d’affirmer que l’examen était simple à endurer, par contre on ne peut pas dire la même chose du résultat. Ils ont découvert une embolie pulmonaire asymptomatique sans adénopathie ou masse suspecte à l’étage thoracique. Conséquence, changement rapide de traitement, piqures quotidiennes, puis suspension de la procédure en faveur d’un médicament fluidifiant le sang. Je peux donc dire que Dieu m’a sauvé, car l’avoir entendu a prolongé mon séjour en rééducation, et a permis d’effectuer cet examen montrant que d’autres caillots de sang auraient pu provoqué d’autres AVC.

45. Sentiment de solitude

Désormais, sortir rapidement de l’hôpital n’est plus une obsession. Sans ma « bouffée délirante » je serais reparti chez moi en danger de mort. Alors je suis forcé de reconnaitre que si la docteur P a essayé de bien faire son travail, je doute de devoir l’encenser. J’ai longtemps détesté la certitude qui pouvait l’animer. À supposer qu’elle soit aussi douée qu’elle se vantait, Dieu n’aurait pas besoin d’exister puisque nous serions proches des immortels. Hélas, j’aurais souhaité dans mon cas qu’elle le concède. Je la remercie cependant car le métier est certainement moins facile que la critique. Elle a naturellement fait de son mieux. Avec du recul, j’avais deux façons d’appréhender les événements, soit j’avais de la chance dans mon malheur, soit j’étais malheureux d’avoir de la chance. Ma nature pessimiste et le sentiment d’être incompris me poussaient alors à ne voir que l’aspect négatif des choses. De plus, mon hospitalisation se prolongeant durant les vacances, je recevais de moins en moins de visites. Peut-être étais-je devenu déplaisant après tout ? Même si je n’y crois pas vraiment. En tous cas, je me taisais encore sur ce sujet inavouable de peur de faire fuir les autres. Je suis dans un tel état de solitude que je me demande si l’amour de Dieu nécessite de la souffrance ? Auquel cas, il doit m’aimer beaucoup.

46. Bilan de sortie

Dernier jour à l’hôpital, il est maintenant temps que je fasse un bilan avec le personnel médical avant de sortir de ce lieu que je déteste. Je crois que jamais plus je ne serai heureux à l’avenir. Ma vie a été détruite par un AVC s’étant produit et reproduit quatre fois dans mon cerveau, à la suite de quoi l’homme que j’étais - assez beau, relativement intelligent, totalement non soumis - est mort. Je me sens si laid avec mes plaques sur le visage que j’ose à peine me regarder dans un miroir, mon esprit fonctionne au ralenti et met des heures à trouver des solutions aux simples exercices de rééducation, et j’obéis docilement à qui que ce soit du service hospitalier m’ordonnant la moindre chose. Bref j’ignore qui je suis et ne reconnais de moi que ce que j’ai perdu. Alors me voici presque inerte, avec trop peu de mots à pouvoir formuler et un manque de confiance grandissant qui me paralyse. De plus, il me faut admettre que mon bref passage chez les fous ne m’a pas aidé à penser que je suis sain d’esprit. Je m’interroge sur mon futur. J’imagine aisément que mon calvaire est loin d’être terminé. Par conséquent je pense à autre chose et ressasse sans cesse qu’il est prévu que je parte en Bretagne, à Belle-isle-en-Terre, fêter les quatre-vingts ans de ma grand-mère paternelle : Manou.

47. Devenir optimiste

Le plus ennuyeux lorsque l’on est pessimiste de nature et malade, c’est que l’on vous répète toujours que ce sont ceux qui restent optimistes qui guérissent le mieux. Alors évidemment cela ne vous rassure pas et n’améliore pas votre situation. En ce qui me concerne, je veux bien devenir optimisme, le seul souci c'est comment fait-on ? Même croire en Dieu devient un problème qu’il me faut expliquer à la psy. Cependant, à dire vrai sur ce sujet sensible, je me contente de prier : « Dieu, veillez sur la Paix et l’Amour sur Terre ainsi que sur toute ma famille, mes amis et moi même, je vous aime, merci. » C’est simple certes, mais sincère. Si au début je lui reprochais mon AVC, je finis par m’en attribuer la faute. Car à oublier l’essentiel, peut-être ai-je mérité ce qui m’arrive ? Je me sens coupable d’être victime de mon malheur. Etant mort en mai 2013, j’ignore qui est celui qui a survécu ? Un autre, indéniablement, et il commence à regretter d’être en vie. Si je ne souhaite pas me suicider, rien que l’imaginer me rend la tâche impossible, je m’interroge sur l’utilité d’exister. Au moins avais-je été, près de mourir, satisfait de ce que le destin m’avait accordé. Le serais-je encore la prochaine fois ? N’aurai-je pas une vie bien remplie de rien ? J’ai tellement peur qu’elle soit vide de sens.

48. Voyage en voiture

Nous sommes partis chez mes grands parents en voiture avec ma sœur Gwen et son futur époux Éric. J'aime être en leur présence à tous les deux. La plupart du temps quand je sortais de l’hôpital le week-end, je me réfugiais chez eux, à Auvers-sur-Oise, la dernière ville où vécut Van Gogh, là où il fut enterré avec son frère. Je pense souvent à cet artiste que j’admire. Est-il mort dans l’ignorance qu’il était un génie ? Moi, je suis vivant tout en sachant que je ne suis rien. J’ai créé quelques beaux poèmes en rimes que presque personne n’a lus, et ma vie d’artiste s’arrête là. Il m'est pénible de parler, mais Gwen et Éric tentent de m'y obliger. Combien de durs moments ont-ils dû traverser par ma faute, sans jamais m'en avoir fait le reproche ? Avec écoute et attention, amour et pardon, leur aide m'a été précieuse, indispensable même. Hélas, sur le moment, ce n’est jamais suffisant. Si la souffrance est à l'esprit ce que la douleur est au corps, alors je souffre le martyre de ce que je considère être comme une privation du cerveau. Je n'ai jamais été doué que pour réfléchir. Je ne sais pas utiliser mes mains. Ce qui revient à dire qu'aujourd'hui je suis un bon à rien. Voyons les choses en face, il va falloir que je redonne du sens à ma vie et je m'en sens totalement incapable.

49. Dîner d'anniversaire

Quand comme moi vous sortez d’un long internement à l’hôpital, les sons, les odeurs, les couleurs familières, tout est différent, surprenant, attirant. On mangerait l’air de la mer par manque d’habitude de la respirer. On écouterait le silence écrire des poèmes si beaux qu’ils nous feraient pleurer. Et puis la rime par le soleil serait brûlée, laissant éclater la joie des enfants qui n’auraient pas à les apprendre. En revanche, on est incapable de pouvoir évoquer cela. De dire ne serait-ce qu’un dixième de ce que l’on ressent. Que si j’en suis victime, j’ignore ce que sont des troubles mnésiques antérogrades importants, un syndrome dysexécutif comportemental et cognitif, et j’en passe et des meilleurs. Je tente de lire les comptes-rendus d’hospitalisations. Suis-je idiot ou ne font-ils aucun effort pour expliquer aux malades ce dont ils souffrent ? Vraiment, je suis fâché avec la médecine. La transmission du savoir aux principaux concernés est déplorable. Bref, j’abandonne mes lectures et pose les questions à ma sœur. Elle prend le temps de me répondre. Elle sait bien lire le langage médecin et le traduire lui est facile. Elle refuse d’adhérer à ce que je prétends, que parler de cette manière est une illusion de talent. J’ai conscience d’exagérer, mais contrairement aux autres patients, je leur en veux tellement.

50. Les 80 ans de Manou

Manou a invité beaucoup de monde au restaurant pour son anniversaire. J’appréhende de devoir me montrer en état de faiblesse face aux convives. Dire bonjour, répliquer au traditionnel « comment ça va ? » et autres questions de circonstances m’est difficile. D’autant plus que je ne sais pas mentir. Alors je rétorque avec hésitation que je vais un peu mieux, à chaque jour son avancée, que bien manger est agréable après tant de repas hospitaliers. J'essaye de paraître rétabli avec quelques banalités de courtoisie. Je fatigue de tant d'agitation. Je m'aperçois également que je n'ai pas ri depuis longtemps, ce bonheur si simple m’est devenu si compliqué que je finis par envier ceux qui savent en profiter. Manou est satisfaite de la fête, mais elle me dit être triste concernant mon AVC. Elle me demande pourquoi cet accident m’est arrivé. Oui, pourquoi ? Je me pose cette même question tous les jours. Mais on ne peut rien y changer, c'est ainsi que la vie devait m'éprouver et me faire comprendre la chance que j'avais eue jusque là. À trop être épargné, on ignore ce que douleur ou souffrance engendrent. Et il y a des leçons à en tirer, des priorités à reconsidérer. Une vie trop facile ne vous permet pas de saisir ce qu’un grand nombre de gens endurent. Depuis le début, la mienne, elle est étrange.

51. Le jeu de Tarot SMJ

Tout le temps qu’a duré le repas au restaurant, j’ai été tel un fantôme souhaitant se faire comprendre des vivants mais qui se tait car il sait que c'est impossible. Le dîner est terminé. L’anniversaire doit continuer chez Papou et Manou. De grandes tables sont dressées à l’intérieur de la grange pour le repas du soir. J’ignore comment les invités peuvent encore vouloir manger. En ce qui me concerne, je suis fatigué. Il y a beaucoup de bruit. Je pars m'isoler dans une chambre à l'étage supérieur de la maison afin de me reposer. Vu ma discrétion, je pense que mon absence ne sera pas remarquée, sauf si on s’inquiète, alors je préviens quand même Gwen, au cas où, qu’on ne vienne pas me réveiller. C’est agréable de s’isoler un peu. Le silence m’apaise. Sur mon lit, j’ai laissé traîner un jeu de tarot. Mais pas n’importe lequel ! Je m’étais amusé à réaliser celui-ci avec Mathieu avant mon AVC et il me l’offrit à la sortie de l’hôpital. Je l’aime bien. Il est assez réussi. Mon ami produit de jolis dessins et il y a quelques poèmes en rimes convenables dedans. J’envisage de jouer à deviner ce que l’avenir me réserve. Evidemment, je ne crois pas en ce genre d’idiotie, cependant c’est distrayant. Je mélange les vingt-et-un atouts auxquels j’ajoute le Mat et procède consciencieusement au tirage des trois cartes.

52. Le Tirage

Le Bateleur, carte de tarot

L'Artiste Maudit, carte de tarot

Le Seigneur du Monde, carte de tarot

53. L’interprétation

Après avoir mélangé le jeu, Le Bateleur, L’Artiste Maudit et Le Seigneur du monde sont les trois cartes apparues. Je n’aime pas en tirer cinq comme l’exige la tradition. Il n’y avait aucune chance d’avoir un tel tirage avec un jeu classique. La N°11 et la N°21 n’existent pas habituellement sous cette forme, seule la N°1 s’inspire de l’original. Je tiens à préciser également que la moitié de nos Arcanes majeurs ont des noms identiques à ceux traditionnels. L’addition des trois numéros donne 33, comme mon âge, et l’addition de chaque chiffre affiché par une carte donne sa place. Je suis interpellé. La voyance est prononcée par Le Bateleur, ce que j’interprète comme étant un signe encourageant. Le représentant du thème choisi par le demandeur est L’Artiste Maudit. La coïncidence devient troublante même pour le charlatan que je suis, j’interrogeais mon avenir. Quand au Seigneur du monde concluant le tirage, il me terrifie. Pourquoi de tels propos interviennent-ils justement à ce moment de ma vie ? Est-ce une mise en garde ? Je décide de laisser de coté le jeu avec plus de questions que je n’en avais déjà. Et j’ai l’impression une nouvelle fois de refuser des faits évidents, car l’athée que j’étais ne peut se satisfaire d’interpréter les signes, déjà qu’il doit supporter l’idée que Dieu lui ait parlé.

54. L’écoulement du temps

Bien qu’il s’écoule de manière constante et mesurée, il est étonnant de constater que la perception du temps par notre esprit semble tout autre. Mes trois semaines de vacances se sont déroulées à une vitesse vertigineuse. Je retourne maintenant à l’hôpital pour ma rééducation. Mais, puisque de l’avis général le manque d'espoir est un frein à la guérison, je risque fort de ne pas progresser d'un iota. Heureusement je ne souhaite pas non plus me contenter de ma condition. Aussi l'intime conviction de mes proches que je vais forcément me rétablir, malgré son côté agaçant, m'encourage à poursuivre mes efforts. D’autant que les évaluations orthophoniques du mois d'août indiquent une évolution. Dans l'épreuve des 80 mots j'en cite maintenant 40, presque le double de fin mai. Ce sont des signes encourageants que je n’interprète pas ainsi car je suis un éternel insatisfait voulant tout plus vite et mieux. Pour le coup, j’ai pris des leçons de vie avec la maladie. Et je dois également apprendre la patience. Durant mon long rétablissement, j'aurai toujours trois mois de retard entre mes progrès et leurs perceptions. Il est compliqué d’analyser ses propres difficultés. Une chose est sûre cependant, le moral ne s'améliore pas, il décline même. Tout se passe comme si je ne parvenais pas à avaler ce que l'on voudrait me faire digérer.

55. Séances de rééducation

J'ai un mal de vivre grandissant. J’ai également peur de ce que l'avenir me réserve. Ma reprise des séances de rééducation hospitalière me pèse. D’autant plus que je me suis fait engueuler par mon ergothérapeute parce que la mosaïque qui m'avait été donnée à créer seul avant mon départ en Bretagne ne convenait pas à ses attentes. Nous n’avions pas les mêmes. Résultat elle m'a dégoûté de cette activité et j’en serai rancunier. J'en ai marre d'être traité tel un gamin. Peu importe si le résultat n’était pas brillant, j’avais éprouvé du plaisir. Elle désirait certainement des progrès, et je ne l’ai pas compris. Heureusement, les cours d'orthophonie se déroulent convenablement. Je suis avide de m’améliorer à l'oral. Ma rééducatrice est à l’écoute et attentionnée. Elle a cessé la pédagogie du par cœur que je vivais difficilement pour une autre approche plus adaptée à mes envies et besoins. Je fais de l'apprentissage de mots, des exercices de polysémie, de la fluidité d'expression ; je travaille ma mémoire, mon attention, et les fonctions exécutives. Bref, rien de passionnant, mais de l’utile à ma portée. Les séances sont répétitives et réalisées avec trois personnes différentes : une responsable, et deux stagiaires. Il s’agit exclusivement de femmes, seul un petit nombre d’hommes pratiquent ce métier.

56. Une nouvelle déplaisante

Début Octobre, ma relation avec mon ergothérapeute ne s’est pas améliorée et elle a une chose importante à m’annoncer. J’imagine avec plaisir qu’il s’agit de la fin de nos séances car les nouvelles activités qu’elle me soumet ne me conviennent pas. Mais en ce jour spécial, c’est comme un affront qui m’est réservé. Bienvenue à la loterie de la Salpé, vous êtes l’heureux gagnant de sept semaines de réadaptation avec plein d’activités à découvrir, dont : courses, cuisine, piscine, et autres. Ce coup-ci je dois reconnaître que je ne m’y attendais pas. Ils me surprennent encore. Je tombe de haut, il y a de l’eau, je me noie. « À l’aide ! S’il vous plait - Que quelqu’un vienne me sauver ! » Il me faudra du temps avant de retrouver ma lucidité. Et une fois le choc encaissé, rien d’énoncé ne m’enthousiasmant, ma réponse fuse : Non merci, ce sera sans moi. Mais apparemment le refus, bien que possible, n’est pas permis. Plus qu’un choix, il s’agit d’une proposition à ne pas rejeter. Le personnel hospitalier concerné insiste tellement que vous êtes obligé de céder si vous ne voulez pas culpabiliser de ne pas avoir tout entrepris pour votre guérison. Par conséquent, vous devez dire oui. Et pour l’instant, je m’y oppose. Je vis comme une humiliation que l’on prétende me réapprendre des gestes simples du quotidien.

57. Première décision à prendre

Chaque jour, quelqu’un me relance sur le programme prévu que je devrai suivre. Je rumine en permanence la première décision importante que je dois prendre. J’oscille continuellement entre le désir farouche de refuser les sept semaines de réadaptation qui étireraient considérablement mon temps à l’hôpital, et la crainte de m’en vouloir de ne pas avoir dit Oui si je ne récupère pas tout ce que j’ai perdu comme facultés. Le lundi de la semaine suivante, Émilie qui a retrouvé l’usage de ses jambes mais pas de son bras droit, et Éric Z, qui éprouve les pires difficultés à reparler français suite à son AVC, discutent dans la salle d’attente du premier étage. Ils sont ravis de me croiser et de m’annoncer que c’est ensemble que nous serons en réadaptation avec une quatrième personne nommée Élisabeth que je ne connais pas encore. La donne change dans mon esprit. Contrairement à ce que j’imaginais, je ne suis pas le seul à qui l’on suggère cela, il y aura un groupe avec des gens que j’apprécie, et réciproquement. Et puis à peine deux mois, qu’est-ce dans une vie ? J’aurais trop peur de me flageller de ne pas avoir réalisé le maximum pour ma guérison si je refusais cette dernière étape à surmonter. Enfin la psy m’incite à accepter ce programme pour mettre toutes les chances de mon côté.

58. Éric Z

J’ai fini par céder et accepter le programme de rééducation. Éric Z en est content. Il m’apprécie beaucoup. La première fois que l’on s’est rencontré, je l’ai fait participer à nos discussions de soirées avec les jeunes de 25-30 ans et l’ingrat. Ayant des difficultés à s’exprimer, il était tenu à l’écart par ceux qui étaient proche de la sortie. Pourtant il est homme à ne jamais se prendre au sérieux et à s’amuser en donnant le sourire aux autres. Il doit réapprendre à parler et ne progresse qu’en argot. « - C’est de la daube ! » est son expression favorite. En France, comme il dit, ça marche tout le temps, pour tout, et à l’hosto, même pour la bouffe. Il est Allemand, et d’après lui dans son pays natal on n’essaye pas d’achever les patients en leur faisant manger n’importe quoi. Il ne vit à Paris que depuis dix ans et n’a aucune famille à proximité pouvant l’aider. Il a été militaire étant jeune ; ce qui depuis mon amitié avec mon collègue de travail Julien, ayant lui aussi servi dans l’armée, ne me semble plus rédhibitoire. Ensuite, il avait accumulé les petits boulots. Il hébergeait chez lui un sans domicile fixe. Malheureusement, ce dernier a profité de sa maladie et l’a volé considérablement. Je déteste cette anecdote mettant à mal ce en quoi je crois. Aussi, puisqu’il n’avait plus d’argent, j’entreprendrai de l’aider financièrement.

59. Élisabeth et Émilie

Un homme dont le cœur ne s’éveille pas à la misère est un homme sans cœur bien misérable. Élisabeth est femme à suivre ce précepte. Dès les premiers jours de réadaptation, elle déborde de gentillesse. De même qu’Eric Z, elle a une cinquantaine d’années, et ce qu’elle traverse est très éprouvant. Elle s’est fait renverser par une voiture et a vécu plus d’un mois de coma. Décidément, il y en a qui devraient repasser le permis. Mais dans son cas, au moins, le mec n’a pas fui. Alors, elle lui en veut moins. Elle lui a même pardonné. Après ce qu’elle a enduré, ce n’était pas facile. Elle a vécu deux semaines au second étage tandis que je séjournais en psychiatrie. Comme moi, elle ne voulait pas effectuer cette réadaptation imposée, et elle avait fini par céder. Émilie quant à elle semblait la seule à être véritablement heureuse. Elle avait selon ses dires accepté sa nouvelle vie. La précédente étant à certain égard non satisfaisante, se reconstruire avec sa famille lui donnait de la joie. Son véritable souci restait son bras droit paralysé. Il était possible qu’elle n’en recouvre jamais l’usage et apprenait par conséquent à utiliser la main gauche. Sa volonté expliquait ses rapides progrès. Elle se répétait sans cesse en elle-même, il faut que j’y arrive pour mes enfants. Pour les autres, elle était pleine d’attention également.

60. Lundi et Mardi

Voici à présent plus amplement comment nos semaines se déroulent.

Le lundi : La matinée est destinée à la préparation par écrit de l’activité repas du lendemain. Ce qui est nécessaire mais franchement rébarbatif. Chaque action doit être détaillée de sorte que l'on ait un protocole à suivre pour n'avoir besoin que d'un minimum d'aide en pratique. Cela m'ennuie réellement, mais à l'évidence je suis celui qui en a le plus besoin. Puis l'après midi, en relaxation, nous sommes allongés sur des matelas où il arrive fréquemment que les autres s'endorment jusqu'à ronfler tandis que je me demande ce que je fais ici, sans trouver les séances déplaisantes. Enfin, le groupe de parole permet d'extérioriser ensemble les difficultés auxquelles nous sommes confrontés.

Le mardi : À chacun son tour, l'un d'entre nous va effectuer les courses tôt le matin pour lancer l'activité cuisine avec l'ergothérapeute. Là, même avec une seule main, Émilie est plus douée que moi. Alors, après mes essais du style "cuisine nouvelle", et après avoir enfin mangé des repas corrects à l'hôpital grâce à mes compères, j'ai l'honneur de m'occuper de la vaisselle. Néanmoins, Élisabeth viendra souvent m'aider.

61. Mercredi, Jeudi et Vendredi

Le mercredi : Selon les semaines, les activités sportives varient entre jouer à la wii, le tennis de table, la pétanque, les fléchettes et la piscine. À vrai dire, il semble important à Émilie et Éric Z de gagner tandis qu'Élisabeth et moi nous nous en moquons éperdument. Je n'apprécie plus les jeux où l'on doit être rivaux, je préfère m'amuser à des jeux collectifs. Battre autrui n'a aucun sens, à mes yeux, s'entraider à gagner ensemble est un objectif nettement plus pertinent.

Le jeudi : Il s'agit de mon activité préférée, je suis le seul à avoir choisi d'axer mes visites sur des musées où la peinture est prédominante. Hélas, celui de Picasso est fermé pour rénovation. J'avais décidé d'écrire sur lui pour mon rapport à effectuer le Vendredi. Il faut que j'en choisisse un autre dans l'urgence, ce sera le Louvre et Léonard de Vinci. Avec du recul, ce fut un mauvais choix. La mise en valeur des œuvres est nettement plus appréciable à Orsay ou l'Orangerie.

Le vendredi : Impossible de rédiger quelque chose de bien dans mon rapport, du coup je cherche des informations sur internet et je bricole avec ça. Je ne veux plus écrire tant que je n'aurai pas assez de mots pour le faire ni d’idées convenables à exprimer.

62. Donner et recevoir

Il faut donner ce qu’on a reçu pour recevoir d’avantage ; car à tout garder, on n’en tire pas profit ; or le don est le plus riche des profits que l’on puisse percevoir. J’essaye d’appliquer ce que je crois avoir entendu de Dieu, des bribes de phrases incomplètes qu’il me reste dans la tête. Et je sais que cela peut paraître prétentieux, mais j’ai l’impression de devenir plus humble. L'AVC m'a fait perdre de ma fierté et mon nouvel état d'esprit me permet de mieux percevoir les choses, comme d'avoir plus d'empathie. J'ai compris que ma vanité était une cause de mon affliction. J'ai tenté de la corriger et à présent je souffre de l'inverse, d’un manque d'assurance. L'équilibre est fragile. Je suis passé de l'un à l'autre. Il se dit que tout est possible pour celui qui prie Dieu avec sincérité et foi ; j’imagine donc ne pas savoir m’y prendre ; car en ce qui me concerne, ça ne fonctionne pas. Par contre j'ai décidé de ne plus jamais mentir. Cela simplifie la vie, d'autant qu'avec l'AVC on ne se souvient que trop peu des mots de la veille. Il s'avère judicieux d'emprunter le chemin de la vérité, on y gagne en certitude. On ne peut pas être pris à défaut. C'est véritablement soulageant. Quant à la foi, je l'ai toujours ; cependant si les hommes sont les fils de Dieu, je refuse de croire qu’ils ressemblent à leur père.

63. Sombres pensées

L'humanité a beaucoup d’idoles mais manque d'idéal. Cette phrase riche de sens n'est pas de moi, néanmoins je la reprends à mon compte. Je désire tant que cessent les intérêts de chacun afin que le bonheur de tous puisse advenir. J’ai l’impression qu’il n'en va jamais ainsi. Alors, que peut faire un homme seul pour y remédier ? Franchement à quoi ça sert que j'existe ? Je ne suis qu’un idiot ne pouvant rien changer de sa propre condition, comment envisager d’améliorer celle des autres ? Je n’en peux plus des épreuves que je dois surmonter. Pourquoi suis-je ici ? J'aurais dû mourir. À l'évidence, ce monde n'est pas fait pour moi. À devoir avaler ses imperfections, je les vomis. Je ne parviens plus à rester indifférent au malheur d’autrui. Qu’est-ce qui rend les hommes tellement peu enclins à aider leur prochain ? À ignorer que la misère de l’un est la misère de tous ? Faut-il exclusivement être focalisé sur soi pour vivre mieux ? Sont-ce les fondements de la société que nous défendons tant ? Trop de sombres pensées m'envahissent sans que j’aie la force de les combattre. Je ne trouve aucune solution pour améliorer la situation. Parce que nous refusons d’y mettre tous du nôtre, je crains le pire. Ce monde est anxiogène et parfois la réalité dépasse la fiction. Si les hommes ne peuvent rien y changer, qu'ils crèvent.

64. Désespérance

Mes pensées sont de plus en plus sombres. La colère m’envahit sans que je puisse déterminer qui d’elle ou de l'Amour finira par prendre le dessus. Il faut que j’apprenne à lutter contre ma négativité. Le bonheur de vivre ne peut venir qu'après avoir surmonté cet obstacle. J'ai perdu la connexion avec celui que j’étais, je dois la retrouver. J'utilise beaucoup trop de mon énergie à identifier ce qui ne va pas. J'ai peur, je souffre, je me demande ce que l'existence attend que je fasse ? Je voudrais crier comme lors de ma venue au monde, et qu'on me rassure, et qu'on s'occupe de moi. J'ai survécu à l'AVC mais le mal qui m'habite est ailleurs. Je subsiste dans un leurre, ignorant ce que je dois accomplir pour Dieu, et pourquoi j'en suis arrivé là ? Car il n'est pas suffisant d'avoir la foi, encore faut-il ne pas penser qu'à soi. Je n'ai pas l'envergure de ceux qui aident sans compter. Je n'ai pas l’intelligence de ceux qui ne pensent qu'à aider. Comment remédier aux difficultés de l'humanité ? Il faut que chacun fasse sa part. Mais, en quoi consiste la mienne ? J’aimerais avoir réponse à toutes les questions que je me pose. Que les choses soient simples et acceptables. Je n’ai réponse à rien. Tout est compliqué. Et je ne tolère pas l’idéal commun de ne penser qu’à soi. Alors je désespère.

65. Si seulement j'avais la preuve

Les jours passent rapidement lorsqu'on a un programme d'occupation à suivre. Notre camarade Éric Z cumule les ennuis. Après avoir cassé ses vieilles lunettes qu’il a dû réparer avec du scotch par manque d’argent, après s’être bloqué le dos en voulant aider un patient à déplacer un meuble de sa chambre, il doit maintenant endurer un désagréable examen médical pour résoudre son douloureux problème de constipation. Aussi, c'est la merde ! Et il en souffre. Trois semaines sans aller à la selle malgré des tas de médicaments, passons les détails, je pense que vous comprenez ce que cela signifie. Je me demande comment il fait pour encaisser ce qui ne cesse de lui arriver. Cependant suite à son lavement, il a l'air de se rétablir. Sa force de caractère m'impressionne. Je n'aurais pas supporté la moitié de ce qu'il a dû éprouver. Voir Éric Z aller mieux redynamise notre groupe de rééducation. Il est si plaisant de réentendre son franc parler un peu limite qui met en joie, et de profiter de sa grande bonté et de ses attentions. La vie se montre injuste parfois, le mauvais sort s'acharne sur d'aimables personnes tandis que d'autres détestables restent impunies. Aussi, Dieu est difficile à comprendre. Il semble régner sur les morts tandis que les vivants ont besoin de lui. Est-ce que je me trompe ?

66. Avant les fêtes

Dernière semaine de notre programme de rééducation, bientôt les vacances, j’arrive comme d’habitude le lundi pour mes séances d’orthophonie. Je vois Éric Z pleurer dans un fauteuil roulant comme pleure un homme quand il a vécu trop de souffrances et que la dernière lui donne envie de disparaître en hurlant. Sa mère qu'il aimait de tout son cœur vient de décéder. La psy me dit de ne pas m'inquiéter. L'hôpital gère la situation. Attristé, je me demande : Quel âge avait sa mère ? Etait-elle malade ? Pourra-t-il se rendre à son enterrement ? Encore des questions sans réponses. J'ai toujours été révolté en étant au service d'autrui, j'ai toujours voulu changer les conditions méprisables de la vie, cependant depuis mon AVC je n'ai presque pensé qu'à mon rétablissement. Mais dans ces conditions, c’est différent. Pourquoi Éric Z, qui a la foi, devrait éprouver tant de malheurs ? Y a t-il des cœurs indignes de souffrir ? Je l'ignore. En fait, je ne sais rien de l’existence, sauf que je ne suis pas avide dans découvrir davantage. Cette semaine sera d'une tristesse sans fin. Éric Z a réintégré le deuxième étage et passe ses journées à répéter ne plus vouloir que mourir pour être auprès de sa mère. C'est bientôt Noël, et égoïstement j'espère qu'il n'aura pas le cadeau qu'il souhaite.
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