Éternels Éclairs

À Philis

Et la mer et l'amour ont l'amer pour partage,
Et la mer est amère, et l'amour est amer,
L'on s'abîme en l'amour aussi bien qu'en la mer,
Car la mer et l'amour ne sont point sans orage.

Celui qui craint les eaux, qu'il demeure au rivage,
Celui qui craint les maux qu'on souffre pour aimer,
Qu'il ne se laisse pas à l'amour enflammer,
Et tous deux ils seront sans hasard de naufrage.

La mère de l'amour eut la mer pour berceau,
Le feu sort de l'amour, sa mère sort de l'eau,
Mais l'eau contre ce feu ne peut fournir des armes.

Si l'eau pouvait éteindre un brasier amoureux,
Ton amour qui me brûle est si fort douloureux,
Que j'eusse éteint son feu de la mer de mes larmes.

— Pierre de Marbeuf,

L’Anatomie de l’œil

L’œil est dans un château que ceignent les frontières
De ce petit vallon clos de deux boulevards,
Il a pour pont-levis les mouvantes paupières,
Le cil pour garde-corps, les sourcils pour remparts.

Il comprend trois humeurs, l’aqueuse, la vitrée,
Et celle de cristal qui nage entre les deux,
Mais ce corps délicat ne peut souffrir l’entrée
À cela que nature a fait de nébuleux.

Six tuniques tenant notre œil en consistance
L’empêchent de glisser parmi ses mouvements,
Et les tendons poreux apportent la substance
Qui le garde, et nourrit tous ses compartiments.

Quatre muscles sont droits, et deux autres obliques,
Communicant à l’œil sa prompte agilité,
Mais par la liaison qui joint les nerfs optiques,
Il est ferme toujours dans sa mobilité.

Bref l’œil mesurant tout d’une même mesure,
À soi-même inconnu, connaît tout l’univers,
Et conçoit dans l’enclos de sa ronde figure
Le rond et le carré, le droit et le travers.

Toutefois ce flambeau qui conduit notre vie
De l’obscur de ce corps emprunte sa clarté.
Nous serons donc ce corps, vous serez l’œil, Marie,
Qui prenez de l’impur votre pure beauté.

— Pierre de Marbeuf,

Le miracle d'amour

Babylone a vanté ses murailles de brique,
Rhodes a fait renommer son colosse orgueilleux,
Et l'Égypte a fait cas des sommets sourcilleux
D'une masse de pierre admirable en fabrique.

Éphèse aimait son temple ainsi qu'une relique,
Sémiramis avait des jardins merveilleux,
Le tombeau de Mausole était miraculeux,
Et ne lui cédait pas le Jupiter olympique.

Les anciens ont dit merveilles en leurs vers
Des miracles premiers qu'on vit en l'univers,
Mais moi j'ai pour sujet la merveille seconde.

Ô ma Philis, alors que je décris vos yeux,
Célèbre qui voudra sept miracles du monde,
Je réserve à ma plume un miracle des cieux.

— Pierre de Marbeuf,

Le sein d'Amaranthe

Mon esprit qui toujours d'un vain espoir s'apaise,
Compare votre sein, dont je suis envieux,
À des jeunes boutons, puis il dit à mes yeux :
Si vous les pouviez voir, ne mourriez-vous point d'aise ?

Ainsi dans mon esprit s'allume une fournaise,
Et son feu se nourrit d'un objet gracieux,
Qui me fait concevoir en tout et en tous lieux,
L'enflure de ce marbre où fleurit une fraise.

Enfin si votre amour demeure le vainqueur,
Et si jusqu'à la mort vous poursuivez mon coeur,
Mon Amaranthe, au moins donnez-lui sépulture.

Que si vous voulez suivre en cela mon dessein,
Son tombeau n'aura pas une autre couverture
Que du marbre qu'on voit qui blanchit votre sein.

— Pierre de Marbeuf,
Les beautés d'Amaranthe

Le Solitaire

[...] Ô plaisirs passagers de notre vanité !
Êtes-vous donc suivis de quelque éternité ?
Éternité de bien, éternité de peine,
Lorsque je pense à toi tu m'assèches la veine :
Ma plume ni mes vers ne peuvent plus couler,
Ma langue s'engourdit, je ne peux plus parler.
Gouffre d'éternité, tu n'as ni fond ni rive,
De la fin de tes jours jamais le jour n'arrive,
Et ce jour éternel qui toujours s'entre-suit,
Aux plus clairs jugements n'est qu'une obscure nuit.
Que si quelqu'un te nomme alors que je t'écoute,
Hélas ! éternité, mon esprit ne voit goutte.
Tous les siècles qu'on peut figurer par les sens,
Les cents de millions, les milliards de cents,
Ne font d'une minute une moindre parcelle,
Si l'on veut les marquer à l'horloge éternelle. [...]

— Pierre de Marbeuf,

Les cheveux d'Amaranthe

Zéphire bien souvent de votre poil se joue,
Pillant sous ce prétexte un baiser amoureux :
Et des ondes qu'il fait flotter sur votre joue,
Un Pactole prend source en l'or de vos cheveux.

Cheveux petites rets, Cupidon vous avoue
De me prendre le coeur : que ce coeur est heureux
Alors que je vous baise, alors que je vous loue,
Cheveux qui l'achevez de le rendre amoureux.

Beaux cheveux, filets d'or, rayons d'ambre et de flamme,
Doux geôliers de mon coeur, doux chaînons de mon âme,
Si par travail s'acquiert votre riche toison :

Et aux feux et aux fers j'exposerai ma vie ;
Puis retournant vainqueur du dragon de l'envie,
Mériterai-je pas d'en être le Jason ?

— Pierre de Marbeuf,
Les beautés d'Amaranthe

Un manteau de feuille morte

Destins qui savez l'avenir,
Que pense Philis devenir,
Puisque pour habit elle porte,
Et les couleurs du déconfort,
Et les parures de la mort,
En une triste feuille morte ?

Au monde veut-elle mourir,
Ou me blesser sans me guérir ?
Est-ce pourquoi ma Belle porte
Un vêtement plein de langueur,
Voulant rendre mon pauvre coeur
Pareil à quelque feuille morte ?

L'aurait-on bien, elle m'aimant,
Promise à quelqu'autre amant ?
Est-ce pour cela qu'elle porte,
Pour témoigner l'affliction,
Et la mort de l'affection,
Une si triste feuille morte ?

Dois-je en son amour persister ?
Dois-je la suivre ou la quitter ?
Puisqu'en son habit elle porte
Un caractère malheureux,
L'espoir perdu des amoureux,
A pour blason la feuille morte.

Mais au contraire en ma douleur,
Philis prenant cette couleur,
Son vêtement me réconforte :
Puisqu'il montre à mes corrivaux,
Que tout l'espoir de leurs travaux
N'est plus rien qu'une feuille morte.

Quoi que c'en soit loin de mon chef,
Ô Dieux éloignez le méchef
Que ce triste feuillage porte :
Changeant en plaisir ma douleur,
Faites-lui changer la couleur
D'une si triste feuille morte !

— Pierre de Marbeuf,
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