Éternels Éclairs

À la belle impérieuse

L'amour, panique
De la raison,
Se communique
Par le frisson.

Laissez-moi dire,
N'accordez rien.
Si je soupire,
Chantez, c'est bien.

Si je demeure,
Triste, à vos pieds,
Et si je pleure,
C'est bien, riez.

Un homme semble
Souvent trompeur.
Mais si je tremble,
Belle, ayez peur.

— Victor Hugo,
Les chansons des rues et des bois

À Mlle Fanny de P

Ô vous que votre âge défend,
Riez ! tout vous caresse encore.
Jouez ! chantez ! soyez l'enfant !
Soyez la fleur ; soyez l'aurore !

Quant au destin, n'y songez pas.
Le ciel est noir, la vie est sombre.
Hélas ! que fait l'homme ici-bas ?
Un peu de bruit dans beaucoup d'ombre.

Le sort est dur, nous le voyons.
Enfant ! souvent l'oeil plein de charmes
Qui jette le plus de rayons
Répand aussi le plus de larmes.

Vous que rien ne vient éprouver,
Vous avez tout, joie et délire,
L'innocence qui fait rêver,
L'ignorance qui fait sourire.

Vous avez, lys sauvé des vents,
Coeur occupé d'humbles chimères,
Ce calme bonheur des enfants,
Pur reflet du bonheur des mères.

Votre candeur vous embellit.
Je préfère à toute autre flamme
Votre prunelle que remplit
La clarté qui sort de votre âme.

Pour vous ni soucis ni douleurs,
La famille vous idolâtre.
L'été, vous courez dans les fleurs ;
L'hiver, vous jouez près de l'âtre.

La poésie, esprit des cieux,
Près de vous, enfant, s'est posée ;
Votre mère l'a dans ses yeux,
Votre père dans sa pensée.

Profitez de ce temps si doux !
Vivez ! - La joie est vite absente ;
Et les plus sombres d'entre nous
Ont eu leur aube éblouissante.

Comme on prie avant de partir,
Laissez-moi vous bénir, jeune âme, -
Ange qui serez un martyr !
Enfant qui serez une femme !

— Victor Hugo,
Les rayons et les ombres

Apparition

Je vis un ange blanc qui passait sur ma tête ;
Son vol éblouissant apaisait la tempête,
Et faisait taire au loin la mer pleine de bruit.
- Qu'est-ce que tu viens faire, ange, dans cette nuit ?
Lui dis-je. - Il répondit : - je viens prendre ton âme. -
Et j'eus peur, car je vis que c'était une femme ;
Et je lui dis, tremblant et lui tendant les bras :
- Que me restera-t-il ? car tu t'envoleras. -
Il ne répondit pas ; le ciel que l'ombre assiège
S'éteignait ... - Si tu prends mon âme, m'écriai-je,
Où l'emporteras-tu ? montre-moi dans quel lieu.
Il se taisait toujours. - Ô passant du ciel bleu,
Es-tu la mort ? lui dis-je, ou bien es-tu la vie ? -
Et la nuit augmentait sur mon âme ravie,
Et l'ange devint noir, et dit : - Je suis l'amour.
Mais son front sombre était plus charmant que le jour,
Et je voyais, dans l'ombre où brillaient ses prunelles,
Les astres à travers les plumes de ses ailes.

— Victor Hugo,
Les contemplations

À une femme

Enfant ! si j'étais roi, je donnerais l'empire,
Et mon char, et mon sceptre, et mon peuple à genoux
Et ma couronne d'or, et mes bains de porphyre,
Et mes flottes, à qui la mer ne peut suffire,
Pour un regard de vous !

Si j'étais Dieu, la terre et l'air avec les ondes,
Les anges, les démons courbés devant ma loi,
Et le profond chaos aux entrailles fécondes,
L'éternité, l'espace, et les cieux, et les mondes,
Pour un baiser de toi !

— Victor Hugo,
Les feuilles d'automne

Cent mille hommes

Cent mille hommes, criblés d'obus et de mitraille,
Cent mille hommes, couchés sur un champ de bataille,
Tombés pour leur pays par leur mort agrandi,
Comme on tombe à Fleurus, comme on tombe à Lodi,
Cent mille ardents soldats, héros et non victimes,
Morts dans un tourbillon d'évènements sublimes,
D'où prend son vol la fière et blanche Liberté,
Sont un malheur moins grand pour la société,
Sont pour l'humanité, qui sur le vrai se fonde,
Une calamité moins haute et moins profonde,
Un coup moins lamentable et moins infortuné
Qu'un innocent, - un seul innocent condamné, -
Dont le sang, ruisselant sous un infâme glaive,
Fume entre les pavés de la place de Grève,
Qu'un juste assassiné dans la forêt des lois,
Et dont l'âme a le droit d'aller dire à Dieu : Vois !

— Victor Hugo,
Les quatre vents de l'esprit

Certes, elle n'était pas femme

Certes, elle n'était pas femme et charmante en vain,
Mais le terrestre en elle avait un air divin.
Des flammes frissonnaient sur mes lèvres hardies ;
Elle acceptait l'amour et tous ses incendies,
Rêvait au tutoiement, se risquait pas à pas,
Ne se refusait point et ne se livrait pas ;
Sa tendre obéissance était haute et sereine ;
Elle savait se faire esclave et rester reine,
Suprême grâce ! et quoi de plus inattendu
Que d'avoir tout donné sans avoir rien perdu !
Elle était nue avec un abandon sublime
Et, couchée en un lit, semblait sur une cime.
À mesure qu'en elle entrait l'amour vainqueur,
On eût dit que le ciel lui jaillissait du coeur ;
Elle vous caressait avec de la lumière ;
La nudité des pieds fait la marche plus fière
Chez ces êtres pétris d'idéale beauté ;
Il lui venait dans l'ombre au front une clarté
Pareille à la nocturne auréole des pôles ;
À travers les baisers, de ses blanches épaules
On croyait voir sortir deux ailes lentement ;
Son regard était bleu, d'un bleu de firmament ;
Et c'était la grandeur de cette femme étrange
Qu'en cessant d'être vierge elle devenait ange.

— Victor Hugo,
Toute la lyre

Dans l'alcôve sombre

Dans l'alcôve sombre,
Près d'un humble autel,
L'enfant dort à l'ombre
Du lit maternel.
Tandis qu'il repose,
Sa paupière rose,
Pour la terre close,
S'ouvre pour le ciel.

Il fait bien des rêves.
Il voit par moments
Le sable des grèves
Plein de diamants ;
Des soleils de flammes,
Et de belles dames
Qui portent des âmes
Dans leurs bras charmants.

Songe qui l'enchante !
Il voit des ruisseaux.
Une voix qui chante
Sort du fond des eaux.
Ses soeurs sont plus belles.
Son père est près d'elles.
Sa mère a des ailes
Comme les oiseaux.

IL voit mille choses
Plus belles encor ;
Des lys et des roses
Plein le corridor ;
Des lacs de délice
Où le poisson glisse,
Où l'onde se plisse
À des roseaux d'or !

Enfant, rêve encore !
Dors, ô mes amours !
Ta jeune âme ignore
Où s'en vont tes jours.
Comme une algue morte
Tu vas, que t'importe !
Le courant t'emporte,
Mais tu dors toujours !

Sans soin, sans étude,
Tu dors en chemin ;
Et l'inquiétude,
À la froide main,
De son ongle aride
Sur ton front candide
Qui n'a point de ride,
N'écrit pas : Demain !

Il dort, innocence !
Les anges sereins
Qui savent d'avance
Le sort des humains,
Le voyant sans armes,
Sans peur, sans alarmes,
Baisent avec larmes
Ses petites mains.

Leurs lèvres effleurent
Ses lèvres de miel.
L'enfant voit qu'ils pleurent
Et dit : Gabriel !
Mais l'ange le touche,
Et, berçant sa couche,
Un doigt sur sa bouche,
Lève l'autre au ciel !

Cependant sa mère,
Prompte à le bercer,
Croit qu'une chimère
Le vient oppresser.
Fière, elle l'admire,
L'entend qui soupire,
Et le fait sourire
Avec un baiser.

— Victor Hugo,
Les feuilles d'automne

Demain, dès l'aube

Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.
J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

— Victor Hugo,
Les contemplations

Épitaphe de Jean Valjean

Il dort. Quoique le sort fût pour lui bien étrange,
Il vivait. Il mourut quand il n'eut plus son ange ;
La chose simplement d'elle-même arriva,
Comme la nuit se fait lorsque le jour s'en va.

— Victor Hugo,
Les Misérables

Heureux l'homme occupé

Heureux l'homme, occupé de l'éternel destin,
Qui, tel qu'un voyageur qui part de grand matin,
Se réveille, l'esprit rempli de rêverie,
Et, dès l'aube du jour, se met à lire et prie !
À mesure qu'il lit, le jour vient lentement
Et se fait dans son âme ainsi qu'au firmament.
Il voit distinctement, à cette clarté blême,
Des choses dans sa chambre et d'autres en lui-même ;
Tout dort dans la maison ; il est seul, il le croit ;
Et, cependant, fermant leur bouche de leur doigt,
Derrière lui, tandis que l'extase l'enivre,
Les anges souriants se penchent sur son livre.

— Victor Hugo,
Les contemplations

Hier au soir

Hier, le vent du soir, dont le souffle caresse,
Nous apportait l'odeur des fleurs qui s'ouvrent tard ;
La nuit tombait ; l'oiseau dormait dans l'ombre épaisse.
Le printemps embaumait, moins que votre jeunesse ;
Les astres rayonnaient, moins que votre regard.

Moi, je parlais tout bas. C'est l'heure solennelle
Où l'âme aime à chanter son hymne le plus doux.
Voyant la nuit si pure et vous voyant si belle,
J'ai dit aux astres d'or : Versez le ciel sur elle !
Et j'ai dit à vos yeux : Versez l'amour sur nous !

— Victor Hugo,
Les contemplations

L'aurore s'allume

I

L'aurore s'allume ;
L'ombre épaisse fuit ;
Le rêve et la brume
Vont où va la nuit ;
Paupières et roses
S'ouvrent demi closes ;
Du réveil des choses
On entend le bruit.

Tout chante et murmure,
Tout parle à la fois,
Fumée et verdure,
Les nids et les toits ;
Le vent parle aux chênes,
L'eau parle aux fontaines ;
Toutes les haleines
Deviennent des voix !

Tout reprend son âme,
L'enfant son hochet,
Le foyer sa flamme,
Le luth son archet ;
Folie ou démence,
Dans le monde immense,
Chacun recommence
Ce qu'il ébauchait.

Qu'on pense ou qu'on aime,
Sans cesse agité,
Vers un but suprême,
Tout vole emporté ;
L'esquif cherche un môle,
L'abeille un vieux saule,
La boussole un pôle,
Moi la vérité !

II

Vérité profonde !
Granit éprouvé
Qu'au fond de toute onde
Mon ancre a trouvé !
De ce monde sombre,
Où passent dans l'ombre
Des songes sans nombre,
Plafond et pavé !

Vérité, beau fleuve
Que rien ne tarit !
Source où tout s'abreuve,
Tige où tout fleurit !
Lampe que Dieu pose
Près de toute cause !
Clarté que la chose
Envoie à l'esprit !

Arbre à rude écorce,
Chêne au vaste front,
Que selon sa force
L'homme ploie ou rompt,
D'où l'ombre s'épanche ;
Où chacun se penche,
L'un sur une branche,
L'autre sur le tronc !

Mont d'où tout ruisselle !
Gouffre où tout s'en va !
Sublime étincelle
Que fait Jéhova !
Rayon qu'on blasphème !
Oeil calme et suprême
Qu'au front de Dieu même
L'homme un jour creva !

III

Ô Terre ! ô merveilles
Dont l'éclat joyeux
Emplit nos oreilles,
Éblouit nos yeux !
Bords où meurt la vague,
Bois qu'un souffle élague,
De l'horizon vague
Plis mystérieux !

Azur dont se voile
L'eau du gouffre amer,
Quand, laissant ma voile
Fuir au gré de l'air,
Penché sur la lame,
J'écoute avec l'âme
Cet épithalame
Que chante la mer !

Azur non moins tendre
Du ciel qui sourit
Quand, tâchant d'entendre
Je cherche, ô nature,
Ce que dit l'esprit,
La parole obscure
Que le vent murmure,
Que l'étoile écrit !

Création pure !
Etre universel !
Océan, ceinture
De tout sous le ciel !
Astres que fait naître
Le souffle du maître,
Fleurs où Dieu peut-être
Cueille quelque miel !

Ô champs ! ô feuillages !
Monde fraternel !
Clocher des villages
Humble et solennel !
Mont qui porte l'air !
Aube fraîche et claire,
Sourire éphémère
De l'astre éternel !

N'êtes-vous qu'un livre,
Sans fin ni milieu,
Où chacun pour vivre
Cherche à lire un peu !
Phrase si profonde
Qu'en vain on la sonde !
L'oeil y voit un monde,
L'âme y trouve un Dieu !

Beau livre qu'achèvent
Les coeurs ingénus ;
Où les penseurs rêvent
Des sens inconnus ;
Où ceux que Dieu charge
D'un front vaste et large
Ecrivent en marge :
Nous sommes venus !

Saint livre où la voile
Qui flotte en tous lieux,
Saint livre où l'étoile
Qui rayonne aux yeux,
Ne trace, ô mystère !
Qu'un nom solitaire,
Qu'un nom sur la terre,
Qu'un nom dans les cieux !

Livre salutaire
Où le cour s'emplit !
Où tout sage austère
Travaille et pâlit !
Dont le sens rebelle
Parfois se révèle !
Pythagore épelle
Et Moïse lit !

— Victor Hugo,
Les chants du crépuscule

La tombe dit à la rose

La tombe dit à la rose :
- Des pleurs dont l'aube t'arrose
Que fais-tu, fleur des amours ?
La rose dit à la tombe :
- Que fais-tu de ce qui tombe
Dans ton gouffre ouvert toujours ?

La rose dit : - Tombeau sombre,
De ces pleurs je fais dans l'ombre
Un parfum d'ambre et de miel.
La tombe dit : - Fleur plaintive,
De chaque âme qui m'arrive
Je fais un ange du ciel !

— Victor Hugo,
Les voix intérieures

Mais tu brûles !

- Mais tu brûles ! Prends garde, esprit ! Parmi les hommes,
Pour nous guider, ingrats ténébreux que nous sommes,
Ta flamme te dévore, et l'on peut mesurer
Combien de temps tu vas sur la terre durer.
La vie en notre nuit n'est pas inépuisable.
Quand nos mains plusieurs fois ont retourné le sable
Et remonté l'horloge, et que devant nos yeux
L'ombre et l'aurore ont pris possession des cieux
Tour à tour, et pendant un certain nombre d'heures,
Il faut finir. Prends garde, il faudra que tu meures.
Tu vas t'user trop vite et brûler nuit et jour !
Tu nous verses la paix, la clémence, l'amour,
La justice, le droit, la vérité sacrée,
Mais ta substance meurt pendant que ton feu crée.
Ne te consume pas ! Ami, songe au tombeau ! -
Calme, il répond : - je fais mon devoir de flambeau.

— Victor Hugo,
L'âne

On vit, on parle ...

On vit, on parle, on a le ciel et les nuages
Sur la tête ; on se plaît aux livres des vieux sages ;
On lit Virgile et Dante ; on va joyeusement
En voiture publique à quelque endroit charmant,
En riant aux éclats de l'auberge et du gîte ;
Le regard d'une femme en passant vous agite ;
On aime, on est aimé, bonheur qui manque aux rois !
On écoute le chant des oiseaux dans les bois
Le matin, on s'éveille, et toute une famille
Vous embrasse, une mère, une sœur, une fille !
On déjeune en lisant son journal. Tout le jour
On mêle à sa pensée espoir, travail, amour ;
La vie arrive avec ses passions troublées ;
On jette sa parole aux sombres assemblées ;
Devant le but qu'on veut et le sort qui vous prend,
On se sent faible et fort, on est petit et grand ;
On est flot dans la foule, âme dans la tempête ;
Tout vient et passe ; on est en deuil, on est en fête ;
On arrive, on recule, on lutte avec effort ...
Puis, le vaste et profond silence de la mort !

— Victor Hugo,
Les contemplations

Vivants

Oui. Je comprends qu'on aille aux fêtes,
Qu'on soit foule, qu'on brille aux yeux,
Qu'on fasse, amis, ce que vous faites,
Et qu'on trouve cela joyeux ;
Mais vivre seul sous les étoiles,
Aller et venir sous les voiles
Du désert où nous oublions,
Respirer l'immense atmosphère ;
C'est âpre et triste, et je préfère
Cette habitude des lions.

— Victor Hugo,
Océan vers
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