Éternels Éclairs

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Ecrire son envol à la plume Peindre avec les couleurs de la vie Bâtir dans l’architecture de la nature Sculpter la beauté d’un instant qui dure. Mettre en scène l’amour et la joie Filmer et révéler ce qui ne se voit pas Jouer des émotions sans fausse note Là sont les arts de vivre.

— Stéphen Moysan
L'Alchimie des mots

Adagio

La rue était déserte et donnait sur les champs. Quand j’allais voir l’été les beaux soleils couchants Avec le rêve aimé qui partout m’accompagne, Je la suivais toujours pour gagner la campagne, Et j’avais remarqué que, dans une maison Qui fait l’angle et qui tient, ainsi qu’une prison, Fermée au vent du soir son étroite persienne, Toujours à la même heure, une musicienne Mystérieuse, et qui sans doute habitait là, Jouait l’adagio de la sonate en la. Le ciel se nuançait de vert tendre et de rose. La rue était déserte ; et le flâneur morose Et triste, comme sont souvent les amoureux, Qui passait, l’œil fixé sur les gazons poudreux, Toujours à la même heure, avait pris l’habitude D’entendre ce vieil air dans cette solitude. Le piano chantait sourd, doux, attendrissant, Rempli du souvenir douloureux de l’absent Et reprochant tout bas les anciennes extases. Et moi, je devinais des fleurs dans de grands vases, Des parfums, un profond et funèbre miroir, Un portrait d’homme à l’œil fier, magnétique et noir, Des plis majestueux dans les tentures sombres, Une lampe d’argent, discrète, sous les ombres, Le vieux clavier s’offrant dans sa froide pâleur, Et, dans cette atmosphère émue, une douleur Épanouie au charme ineffable et physique Du silence, de la fraîcheur, de la musique. Le piano chantait toujours plus bas, plus bas. Puis, un certain soir d’août, je ne l’entendis pas. Depuis, je mène ailleurs mes promenades lentes. Moi qui hais et qui fuis les foules turbulentes, Je regrette parfois ce vieux coin négligé. Mais la vieille ruelle a, dit-on, bien changé : Les enfants d’alentour y vont jouer aux billes, Et d’autres pianos l’emplissent de quadrilles.

— François Coppée
Le Reliquaire

Beethoven et Rembrandt, extrait

Beethoven et Rembrandt, tous deux nés sur le Rhin, Dans leur mystérieuse et profonde harmonie, Vibrent d’accord. — Un sombre et lumineux Génie Leur a touché le front de son doigt souverain. Ces deux prédestinés ont des similitudes : Quelque chose de fier, de sauvage et de grand Marque pour l’avenir Beethoven et Rembrandt, Ennemis naturels des hautes servitudes. De leur temps, ils passaient pour des hallucinés : L’un voyant tout en or dans une chambre noire, L’autre écoutant des voix au fond de sa mémoire, Comme les Enchanteurs et les Illuminés. Mais qu’importe ! — Chez eux rien qui se mésallie. — Ils ont aimé toujours leur grand art d’amour pur. S’ils n’ont rien modulé sur un ton bleu d’azur, C’est qu’ils n’ont pas connu la Grèce ou l’Italie. Rembrandt peignait de fiers et sombres cavaliers Sous feutre à larges bords ou toque à riche plume, À l’aise dans un ample et merveilleux costume, Sans raideur, à la fois graves et familiers ; Bourgmestres et syndics, honnêtes personnages Dont la barbe caresse un grand col rabattu, Des gens de haute mine et d’austère vertu, Trouvant la poésie au fond de leurs ménages ; Ou marins revenus d’un voyage au long cours, Des tempêtes du Cap, des îles de la Sonde, Dans leur pays de brume, au bout de l’Ancien Monde, Rejoignant au foyer de sérieux amours. Aux magiques lueurs de sa chaude lumière, Les pauvres, les souffrants, les humbles, les petits, Miraculeusement des ténèbres sortis, Vivaient transfigurés dans leur beauté première.

— André Lemoyne
NC

Chantre

Et l'unique cordeau des trompettes marines.

— Guillaume Apollinaire
Alcools

Chopin

Chopin, mer de soupirs, de larmes, de sanglots Qu’un vol de papillons sans se poser traverse Jouant sur la tristesse ou dansant sur les flots. Rêve, aime, souffre, crie, apaise, charme ou berce, Toujours tu fais courir entre chaque douleur L’oubli vertigineux et doux de ton caprice Comme les papillons volent de fleur en fleur ; De ton chagrin alors ta joie est la complice : L’ardeur du tourbillon accroit la soif des pleurs. De la lune et des eaux pale et doux camarade, Prince du désespoir ou grand seigneur trahi, Tu t’exaltes encore, plus beau d’être pali, Du soleil inondant ta chambre de malade Qui pleure a lui sourire et souffre de le voir… Sourire du regret et larmes de l’Espoir !

— Marcel Proust
Les Plaisirs et les Jours

Consolation

Lento placido s’enflamme Comme un chant de l’âme Une Consolation majeure Dont la tonalité trame L’apaisant sélam En son ré bémol majeur D’un mystérieux sésame Par son amalgame Aux rythmes de l’univers

— Marc Bedjai
Après une écoute de Liszt Consolation D flat major N°3 (S.172)
NC

Fantaisie

Il est un air pour qui je donnerais Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber ; Un air très-vieux, languissant et funèbre, Qui pour moi seul a des charmes secrets. Or, chaque fois que je viens à l’entendre, De deux cents ans mon âme rajeunit : C’est sous Louis treize… et je crois voir s’étendre Un coteau vert que le couchant jaunit, Puis un château de brique à coins de pierre, Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs, Ceint de grands parcs, avec une rivière Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs. Puis une dame, à sa haute fenêtre, Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens… Que, dans une autre existence peut-être, J’ai déjà vue ! — et dont je me souviens !

— Gérard de Nerval
Petits châteaux de Bohême

Guitare

Gastibelza, l’homme à la carabine, Chantait ainsi: » Quelqu’un a-t-il connu doña Sabine ? Quelqu’un d’ici ? Dansez, chantez, villageois ! la nuit gagne Le mont Falù. – Le vent qui vient à travers la montagne Me rendra fou ! Quelqu’un de vous a-t-il connu Sabine, Ma señora ? Sa mère était la vieille maugrabine D’Antequera Qui chaque nuit criait dans la Tour-Magne Comme un hibou … – Le vent qui vient à travers la montagne Me rendra fou ! Dansez, chantez! Des biens que l’heure envoie Il faut user. Elle était jeune et son oeil plein de joie Faisait penser. – À ce vieillard qu’un enfant accompagne jetez un sou ! … – Le vent qui vient à travers la montagne Me rendra fou. Vraiment, la reine eût près d’elle été laide Quand, vers le soir, Elle passait sur le pont de Tolède En corset noir. Un chapelet du temps de Charlemagne Ornait son cou … – Le vent qui vient à travers la montagne Me rendra fou. Le roi disait en la voyant si belle A son neveu : – Pour un baiser, pour un sourire d’elle, Pour un cheveu, Infant don Ruy, je donnerais l’Espagne Et le Pérou ! – Le vent qui vient à travers la montagne Me rendra fou. Je ne sais pas si j’aimais cette dame, Mais je sais bien Que pour avoir un regard de son âme, Moi, pauvre chien, J’aurais gaîment passé dix ans au bagne Sous le verrou … – Le vent qui vient à travers la montagne Me rendra fou. Un jour d’été que tout était lumière, Vie et douceur, Elle s’en vint jouer dans la rivière Avec sa soeur, Je vis le pied de sa jeune compagne Et son genou … – Le vent qui vient à travers la montagne Me rendra fou. Quand je voyais cette enfant, moi le pâtre De ce canton, Je croyais voir la belle Cléopâtre, Qui, nous dit-on, Menait César, empereur d’Allemagne, Par le licou … – Le vent qui vient à travers la montagne Me rendra fou. Dansez, chantez, villageois, la nuit tombe ! Sabine, un jour, A tout vendu, sa beauté de colombe, Et son amour, Pour l’anneau d’or du comte de Saldagne, Pour un bijou … – Le vent qui vient à travers la montagne Me rendra fou. Sur ce vieux banc souffrez que je m’appuie, Car je suis las. Avec ce comte elle s’est donc enfuie ! Enfuie, hélas ! Par le chemin qui va vers la Cerdagne, Je ne sais où … – Le vent qui vient à travers la montagne Me rendra fou. Je la voyais passer de ma demeure, Et c’était tout. Mais à présent je m’ennuie à toute heure, Plein de dégoût, Rêveur oisif, l’âme dans la campagne, La dague au clou … – Le vent qui vient à travers la montagne M’a rendu fou !

— Victor Hugo
Les rayons et les ombres

Harmonie du soir

Voici venir les temps où vibrant sur sa tige Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir ; Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir, Valse mélancolique et langoureux vertige ! Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir ; Le violon frémit comme un cœur qu’on afflige ; Valse mélancolique et langoureux vertige ! Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir. Le violon frémit comme un cœur qu’on afflige, Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir ! Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir ; Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige. Un cœur tendre qui hait le néant vaste et noir Du passé lumineux recueille tout vestige ; Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige ; Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir !

— Charles Baudelaire
Les Fleurs du mal

La musique

La musique souvent me prend comme une mer ! Vers ma pâle étoile, Sous un plafond de brume ou dans un vaste éther, Je mets à la voile ; La poitrine en avant et les poumons gonflés Comme de la toile, J’escalade le dos des flots amoncelés Que la nuit me voile ; Je sens vibrer en moi toutes les passions D’un vaisseau qui souffre ; Le bon vent, la tempête et ses convulsions Sur l’immense gouffre Me bercent. D’autres fois, calme plat, grand miroir De mon désespoir !

— Charles Baudelaire
Les Fleurs du mal

La musique

Ah ! chante encore, chante, chante ! Mon âme a soif des bleus éthers. Que cette caresse arrachante En rompe les terrestres fers ! Que cette promesse infinie, Que cet appel délicieux Dans les longs flots de l’harmonie L’enveloppe et l’emporte aux cieux ! Les bonheurs purs, les bonheurs libres L’attirent dans l’or de ta voix, Par mille douloureuses fibres Qu’ils font tressaillir à la fois. Elle espère, sentant sa chaîne A l’unisson si fort vibrer, Que la rupture en est prochaine Et va soudain la délivrer ! La musique surnaturelle Ouvre le paradis perdu. Hélas ! Hélas ! il n’est par elle Qu’en songe ouvert, jamais rendu.

— René-François Sully Prudhomme
Epaves

Nuit étoilée Van Gogh

Tout le monde ne peut chanter Mais tu fais chanter tes pinceaux, Feux follets échevelés de comètes. Déboussolé dans ta quête, Tu peins le village enraciné, Vertige de l’étoile. Ô ! Que danse l’éternité Dans la nuit étoilée. Eclat sombre d’un nocturne Au noir fondant velouté, Hululement taciturne Bruissement des taillis Tu peins le giron de la nuit. Il te plaît d’éclairer la nuit De ton œil sans sommeil. La ténèbre est une toile Au beau fouillis des claires étoiles. Et tu veilles, ne trouvant nul repos Si ce n’est de peindre La nuit intensément bleue Bleu mystérieux des songes. Dans un noir si bleu L’on mourrait sans regret, Ô juste le temps d’un vœu : Que la nuit reste bleue.

— Michelle Grenier
NC

Siciliana

Ses doux rythmes pointillés Si bien aiguillés Vers sa mélodie lyrique Belle cadence féée Lancinante éployée Dans sa fougue iambique Nous rappellent amplifiée L’ardeur instillée Par nos étreintes mystiques

— Marc Bedjai
Après une écoute de Siciliana BWV 1031 pour piano de J.S.Bach
NC
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