Florilège de Poèmes
de Raymond Queneau (1903-1976)

Par Stéphen Moysan
Attention des droits d'auteurs, que nous ne possèdons pas, protègent la majorité des oeuvres ici présentes.
Adieu
Adieu ce grand point ces horizontales Ses arches ses murs et ses escaliers Ses fers peints en rouge et se balustrades Adieu ce grand pont qui baigne ses pieds Adieu la maison et ses verticales Sa toiture mauve et ses volets gris Sa radio béante et dominicale Adieu la maison d'où je viens d'où je suis parti Adieu cette ville sa vie oblique Ses pavés bien nus son asphalte noir Ses squelettes gras et ses os méphitiques Adieu cette ville où meurt ma mémoire
Recueil non mentionné
Ballade en Proverbes du Vieux Temps
Il faut de tout pour faire un monde Il faut des vieillards tremblotants Il faut des milliards de secondes Il faut chaque chose en son temps En mars il y a le printemps II est un mois où l'on moissonne Il est un jour où bout de l'an L'hiver arrive après l'automne La pierre qui roule est sans mousse Béliers tondus gèlent au vent Entre les pavés l'herbe pousse Que voilà de désagréments Chaque arbre vêt son linceul blanc Le soleil se traîne tout jaune C'est la neige après le beau temps L'hiver arrive après l'automne Quand on est vieux on n'est plus jeune On finit par perdre ses dents Après avoir mangé on jeûne Personne n'est jamais content On regrette ses jouets d'enfant On râle après le téléphone On pleure comme un caïman L'hiver arrive après l'automne Envoi Prince ! tout ça c'est le chiendent C'est encor pis si tu raisonnes La mort t'a toujours au tournant L'hiver arrive après l'automne
Recueil non mentionné
Idées
Les oiseaux bleus dans l'air sont verts dans la prairie qui les entend les voit qui les voit les entend leur aile déployée élargit leur patrie mais à travers leur plume un feu toujours s'étend Caméléons du ciel agiles que l'œil transperce nuages qui vivants assument tour à tour la forme d'une idée et puis l'idée adverse protéens dont l'azur ne limite aucun tour ils volent à travers la sublime excellence des principes divins scellés sur l'horizon les étoiles parfois dénotent leur présence et les jeux de la lune au cours d'une saison
Recueil non mentionné
L’Amphion
Le Paris que vous aimâtes n’est pas celui que nous aimons et nous nous dirigeons sans hâte vers celui que nous oublierons Topographies ! itinéraires ! dérives à travers la ville souvenirs des anciens horaires ! que la mémoire est difficile… Et sans un plan sous les yeux on ne nous comprendra plus car tout ceci n’est que jeu et l’oubli d’un temps perdu
Recueil non mentionné
L'échelle des mois
Quand sombre l'orage dans un ciel de Mai quand fuit le vitrage sous un ciel de juin quand éclate l'âge d'un ciel de juillet quand hurle l'orage qui bouscule l'août quand valse la nage d'un mois de septembre quand pleut l'écrémage des fumées d'octobre quand fondent les nuages de Toussaint de novembre quand coule la rage de neige de décembre quand bavent les sages au fil de janvier quand vient l'avantage du court février quand court le sauvage du bien sûr dit mars quand vient l'élevage du poisson d'avril quand sombre l'orage dans un ciel de mai l'année recommage et l'infinité
Recueil non mentionné
L’écolier
J’écrirai le jeudi j’écrirai le dimanche quand je n’irai pas à l’école j’écrirai des nouvelles j’écrirai des romans et même des paraboles je parlerai de mon village je parlerai de mes parents de mes aïeux de mes aïeules je décrirai les prés je décrirai les champs les broutilles et les bestioles puis je voyagerai j’irai jusqu’en Iran au Tibet ou bien au Népal et ce qui est beaucoup plus intéressant du côté de Sirius ou d’Algol où tout me paraîtra tellement étonnant que revenu dans mon école je mettrai l’orthographe mélancoliquement
Recueil non mentionné
Pour un art poétique
Prenez un mot prenez en deux faites les cuir' comme des œufs prenez un petit bout de sens puis un grand morceau d'innocence faites chauffer à petit feu au petit feu de la technique versez la sauce énigmatique saupoudrez de quelques étoiles poivrez et mettez les voiles Où voulez-vous donc en venir ? A écrire Vraiment ? A écrire ?
Recueil non mentionné
Si tu t’imagines
Si tu t’imagines si tu t’imagines fillette fillette si tu t’imagines xa va xa va xa va durer toujours la saison des za la saison des za saison des amours ce que tu te goures fillette fillette ce que tu te goures Si tu crois petite si tu crois ah ah que ton teint de rose ta taille de guêpe tes mignons biceps tes ongles d’émail ta cuisse de nymphe et ton pied léger si tu crois petite xa va xa va xa va va durer toujours ce que tu te goures fillette fillette ce que tu te goures les beaux jours s’en vont les beaux jours de fête soleils et planètes tournent tous en rond mais toi ma petite tu marches tout droit vers sque tu vois pas très sournois s’approchent la ride véloce la pesante graisse le menton triplé le muscle avachi allons cueille cueille les roses les roses roses de la vie et que leurs pétales soient la mer étale de tous les bonheurs allons cueille cueille si tu le fais pas ce que tu te goures fillette fillette ce que tu te goures
L’instant fatal
Un poème
Bien placés bien choisis quelques mots font une poésie les mots il suffit qu’on les aime pour écrire un poème on ne sait pas toujours ce qu’on dit lorsque naît la poésie faut ensuite rechercher le thème pour intituler le poème mais d’autres fois on pleure on rit en écrivant la poésie ça a toujours kékchose d’extrême un poème.
L’instant fatal, Aux nourritures terrestres