Éternels Éclairs

Florilège de Poèmes
d'Eugène Guillevic (1907-1997)



Par Stéphen Moysan

Attention des droits d'auteurs, que nous ne possèdons pas, protègent la majorité des oeuvres ici présentes.

C'est naturel

Le feu chauffe. C'est naturel. La vague revient. C'est naturel. Le rameau bat. C'est naturel. Des hommes chantent. C'est naturel. Ils chantent leur misère. C'est naturel. Et leur espoir. C'est naturel. C'est leur misère Qui n'est pas naturelle.

— Eugène Guillevic (1907-1997)
Recueil non mentionné

Choses

C'est vrai Qu'il y a aussi des étoiles Et qu'elles sont belles. Que brûler leur donne En fruit la lumière. Et que rien ne dit Qu'en leurs feux de pierre, Elles ne sauront rien De nos mains qui grouillent De nos mains qui fouillent.

— Eugène Guillevic (1907-1997)
Terraqué

Coquelicot

Coquelicot, Quand je pense Que je te parle Et que tu l'ignores, Que j'envie ta fierté, ton assurance, Ton absence d'hésitation, Ta certitude d'avoir gagné, De continuer à rayonner, J'ai de la peine à sentir Qu'on ne communique pas Avec ce que l'on aime, ou admire Et je me sens seul, Étranger à moi-même. Tu ne le sauras pas, Mais continue À m'éblouir.

— Eugène Guillevic (1907-1997)
Quotidiennes

Durée

Courte est la journée, Courts sont tous les jours. Courte encore est l'heure. Mais l'instant s'allonge Qui a profondeur.

— Eugène Guillevic (1907-1997)
Non mentionné

Élégie

Lorsque nous tremblions L'un contre l'autre dans le bois Au bord du ruisseau, Lorsque nos corps Devenaient à nous, Lorsque chacun de nous S'appartenait dans l'autre Et qu'ensemble nous avancions, C'était alors aussi La teneur du printemps Qui passait dans nos corps Et qui se connaissait.

— Eugène Guillevic (1907-1997)
Sphère

Fourmis

Fourmis, fourmis, Pas si fourmis que ça, Ces gens qui vont, se faufilent, Qui se frôlent, s'entassent. Ou c'est que les fourmis Ne sont pas ce qu'on dit. Car dans les gens d'ici, Prétendument fourmis Ça rêve bougrement.

— Eugène Guillevic (1907-1997)
La ville en poésie

Habitations

J'ai logé dans le merle. Je crois savoir comment Le merle se réveille et comment il veut dire La lumière, du noir encore, quelques couleurs, Leurs jeux lourds à travers Ce rouge qu'il se voit. J'ai fait leur verticale Avec les blés. Avec l'étang j'ai tâtonné Vers le sommeil toujours tout proche. J'ai vécu dans la fleur. J'y ai vu le soleil Venir s'occuper d'elle Et l'inciter longtemps A tenter ses frontières. J'ai vécu dans des fruits Qui rêvaient de durer. J'ai vécu dans des yeux Qui pensaient à sourire.

— Eugène Guillevic (1907-1997)
Sphère

Il partageait tout

Il partageait tout Et avec tous. Quand il avait une pomme Il voulait en donner. Quand il avait un journal, Il proposait de le répartir. Quand il faisait beau, Il distribuait. Il partageait tout, Sauf ce qu'il n'aimait pas, Les billets de banque, Par exemple.

— Eugène Guillevic (1907-1997)
Autres

Il y a des monstres

Il y a des monstres qui sont très bons, Qui s'assoient contre vous les yeux clos de tendresse Et sur votre poignet Posent leur patte velue. Un soir - Où tout sera pourpre dans l'univers, Où les roches reprendront leurs trajectoires de folles, Ils se réveilleront.

— Eugène Guillevic (1907-1997)
Non mentionné

J'ai vu le menuisier

J'ai vu le menuisier Tirer parti du bois. J'ai vu le menuisier Comparer plusieurs planches. J'ai vu le menuisier Caresser la plus belle. J'ai vu le menuisier Approcher le rabot. J'ai vu le menuisier Donner la juste forme. Tu chantais, menuisier, En assemblant l'armoire. Je garde ton image Avec l'odeur du bois. Moi, j'assemble des mots Et c'est un peu pareil.

— Eugène Guillevic (1907-1997)
Terre à bonheur

La vague

Pour se faufiler Dans l'étroit canal Qui menait au port avant les bassins, Elles se pressaient, tes vagues, Lors de la marée, Elles se bousculaient. Elles avaient besoin Que l'interminable Soit fini pour elles.

— Eugène Guillevic (1907-1997)
Carnac

Lumière

Ce n'est pas vrai que tout amour décline, Ce n'est pas vrai qu'il nous donne au malheur, Ce n'est pas vrai qu'il nous mène au regret, Quand nous voyons à deux la rue vers l'avenir. Ce n'est pas vrai que tout amour dérive, Quand les forces qui montent ont besoin de nos forces. Ce n'est pas vrai que tout amour pourrit, Quand nous mettons à deux notre force à l'attaque. Ce n'est pas vrai que tout amour s'effrite, Quand le plus grand combat va donner la victoire. Ce n'est pas vrai du tout, Ce qu'on dit de l'amour, Quand la même colère a pris les deux qui s'aiment, Quand ils font de leurs jours avec les jours de tous Un amour et sa joie.

— Eugène Guillevic (1907-1997)
Gagner

Mort

Toute une vie Avec un terme Comme un loyer, Comme un trimestre, Dont meurt un pin, Dont meurt un homme. Toute une vie Pour faire en sorte Qu'il ne soit pas, Qu'il soit passé. Qu'elle soit longue, au moins, Cette vie qu'il faut vivre. Car difficile Est la leçon.

— Eugène Guillevic (1907-1997)
Non mentionné

Paroles

Peu de paroles Car trop de paroles Bouchent le creux, Et la résonance : adieu. Peu de paroles Pour que chacune ait dans la sphère Tout un circuit, Sa résonance.

— Eugène Guillevic (1907-1997)
Inclus

Regarder

1 Avant de regarder Par la fenêtre ouverte, Je ne sais pas Ce que ce sera. 2 Ce n’est pas Que ce soit la première fois. Depuis des années Je recommence Au même endroit Par la même fenêtre. 3 Pourtant je ne sais pas Ce que mon regard, ce soir, Va choisir dans cette masse de choses Qui est là, Dehors. Ce qu’il va retenir Pour son bien-être. 4 Il peut aller loin. Peu de couleurs. Peu de courbes. Beaucoup de lignes. Des formes, Accumulées Par des générations. 5 Je laisse à mon regard Beaucoup de temps, Tout le temps qu’il faut. Je ne le dirige pas. Pas exprès. 6 J’espère que ce soir Il va trouver de quoi : Par exemple Un toit, du ciel. Et que je vais pouvoir Agréer ce qu’il a choisi, L’accueillir en moi, Le garder longtemps. Pour la gloire De la journée.

— Eugène Guillevic (1907-1997)
Étier

Sans titre

Il y a bien sûr Assez à dire Pour qu'on n'ait pas besoin De commencer.

— Eugène Guillevic (1907-1997)
Du domaine

Victoire du Monde

Que déjà je me lève en ce matin d’été Sans regretter longtemps la nuit et le repos. Que déjà je me lève Et que j’aie cette envie d’eau froide Pour ma nuque et pour mon visage. Que je regarde avec envie L’abeille en grand travail Et que je la comprenne. Que déjà je me lève et voie le buis, Qui probablement travaille autant que l’abeille. Et que j’en sois content. Que je me sois levé au-devant de la lumière Et que je sache : la journée est à ouvrir. Déjà, c’est victoire.

— Eugène Guillevic (1907-1997)
Terre à bonheur
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