Éternels Éclairs

A une chatte

Chatte blanche, chatte sans tache, Je te demande, dans ces vers, Quel secret dort dans tes yeux verts, Quel sarcasme sous ta moustache. Tu nous lorgnes, pensant tout bas Que nos fronts pâles, que nos lèvres Déteintes en de folles fièvres, Que nos yeux creux ne valent pas Ton museau que ton nez termine, Rose comme un bouton de sein, Tes oreilles dont le dessin Couronne fièrement ta mine. Pourquoi cette sérénité ? Aurais-tu la clé des problèmes Qui nous font, frissonnants et blêmes, Passer le printemps et l’été ? Devant la mort qui nous menace, Chats et gens, ton flair, plus subtil Que notre savoir, te dit-il Où va la beauté qui s’efface, Où va la pensée, où s’en vont Les défuntes splendeurs charnelles ? Chatte, détourne tes prunelles ; J’y trouve trop de noir au fond.

— Charles Cros (1842-1888)
Le coffret de santal

Dans les bois

Au printemps l’oiseau naît et chante : N’avez-vous pas ouï sa voix ?… Elle est pure, simple et touchante, La voix de l’oiseau – dans les bois ! L’été, l’oiseau cherche l’oiselle ; Il aime – et n’aime qu’une fois ! Qu’il est doux, paisible et fidèle, Le nid de l’oiseau – dans les bois ! Puis quand vient l’automne brumeuse, il se tait… avant les temps froids. Hélas ! qu’elle doit être heureuse La mort de l’oiseau – dans les bois !

— Gérard de Nerval (1808-1855)
Odelettes

Impression fausse

Dame souris trotte Noire dans le gris du soir, Dame souris trotte Grise dans le noir. On sonne la cloche, Dormez les bons prisonniers ! On sonne la cloche : Faut que vous dormiez. Pas de mauvais rêve, Ne pensez qu’à vos amours. Pas de mauvais rêve : Les belles toujours ! Le grand clair de lune ! On ronfle ferme à côté. Le grand clair de lune En réalité ! Un nuage passe, Il fait noir comme en un four, Un nuage passe. Tiens le petit jour ! Dame souris trotte, Rose dans les rayons bleus. Dame souris trotte : Debout les paresseux !

— Paul Verlaine (1844-1896)
Parallèlement

L’oiseau

Mais lors voici qu’un oiseau chante, Dans une pauvre cage en bois, Mais lors voici qu’un oiseau chante Sur une ville et tous ses toits, Et qu’il dit qu’on le voit le monde Et sur la mer la pluie tomber, Et des voiles s’en aller rondes, Sur l’eau si loin qu’on peut aller. Puis voix dans l’air plus haut montée, Alors voici que l’oiseau dit Que tout l’hiver s’en est allé Et qu’on voit l’herbe qui verdit, Et sur les chemins la poussière Déjà, et les bêtes aussi, Et toits fumant dans la lumière Que l’on dirait qu’il est midi, Et puis encore sa voix montée, Que l’air est d’or et resplendit, Et puis le bleu du ciel touché Qu’il est ouvert le paradis.

— Max Elskamp (1862-1931)
Huit chansons reverdies

La Cigale et la Fourmi

La Cigale, ayant chanté Tout l’été, Se trouva fort dépourvue Quand la bise fut venue : Pas un seul petit morceau De mouche ou de vermisseau. Elle alla crier famine Chez la Fourmi sa voisine, La priant de lui prêter Quelque grain pour subsister Jusqu’à la saison nouvelle. « Je vous paierai, lui dit-elle, Avant l’Oût, foi d’animal, Intérêt et principal. » La Fourmi n’est pas prêteuse : C’est là son moindre défaut. Que faisiez-vous au temps chaud ? Dit-elle à cette emprunteuse. – Nuit et jour à tout venant Je chantais, ne vous déplaise. – Vous chantiez ? j’en suis fort aise. Eh bien! dansez maintenant.

— Jean de la Fontaine (1621-1695)
Les Fables

La Grenouille qui se veut faire aussi grosse que le Boeuf

Une Grenouille vit un boeuf Qui lui sembla de belle taille. Elle qui n’était pas grosse en tout comme un œuf Envieuse s’étend, et s’enfle, et se travaille Pour égaler l’animal en grosseur, Disant : Regardez bien, ma soeur ; Est-ce assez ? dites-moi ; n’y suis-je point encore ? – Nenni. – M’y voici donc ? – Point du tout. – M’y voilà ? – Vous n’en approchez point. La chétive pécore S’enfla si bien qu’elle creva. Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages : Tout Bourgeois veut bâtir comme les grands Seigneurs, Tout petit Prince a des Ambassadeurs, Tout Marquis veut avoir des Pages.

— Jean de la Fontaine (1621-1695)
Les Fables

La mort des oiseaux

Le soir, au coin du feu, j’ai pensé bien des fois, A la mort d’un oiseau, quelque part, dans les bois, Pendant les tristes jours de l’hiver monotone Les pauvres nids déserts, les nids qu’on abandonne, Se balancent au vent sur le ciel gris de fer. Oh ! comme les oiseaux doivent mourir l’hiver ! Pourtant lorsque viendra le temps des violettes, Nous ne trouverons pas leurs délicats squelettes. Dans le gazon d’avril où nous irons courir. Est-ce que « les oiseaux se cachent pour mourir ? »

— François Coppée (1842-1908)
Promenades et intérieurs

La mort du chien

Un groupe tout à l’heure était là sur la grève, Regardant quelque chose à terre : « Un chien qui crève ! » M’ont crié des enfants ; voilà tout ce que c’est ! Et j’ai vu sous leurs pieds un vieux chien qui gisait. L’océan lui jetait l’écume de ses lames. « Voilà trois jours qu’il est ainsi », disaient les femmes. « On a beau lui parler, il n’ouvre pas les yeux » « Son maître est un marin absent », disait un vieux. Un pilote, passant la tête à la fenêtre, A repris : « le chien meurt de ne plus voir son maître ! Justement le bateau vient d’entrer dans le port. Le maître va venir, mais le chien sera mort ! » Je me suis arrêté près de la triste bête, qui, sourde, ne bougeant ni le corps ni la tête, Les yeux fermés, semblait morte sur le pavé. Comme le soir tombait, le maître est arrivé, Vieux lui même, et, hâtant son pas que l’âge casse, A murmuré le nom de son chien à voix basse. Alors, rouvrant ses yeux pleins d’ombre, extenué, Le chien a regardé son maître, a remué Une dernière fois sa pauvre vieille queue, Puis est mort. C’était l’heure où, sous la voûte bleue, Comme un flambeau qui sort d’un gouffre, Vénus luit ; Et j’ai dit : « D’où vient l’astre ? où va le chien ? ô nuit ! »

— Victor Hugo (1802-1885)
Les Quatre Vents de l’esprit

Le Chat

Viens, mon beau chat, sur mon coeur amoureux ; Retiens les griffes de ta patte, Et laisse-moi plonger dans tes beaux yeux, Mêlés de métal et d’agate. Lorsque mes doigts caressent à loisir Ta tête et ton dos élastique, Et que ma main s’enivre du plaisir De palper ton corps électrique, Je vois ma femme en esprit. Son regard, Comme le tien, aimable bête Profond et froid, coupe et fend comme un dard, Et, des pieds jusques à la tête, Un air subtil, un dangereux parfum Nagent autour de son corps brun.

— Charles Baudelaire (1821-1867)
Les fleurs du mal

Le chat et le soleil

Le chat ouvrit les yeux, Le soleil y entra. Le chat ferma les yeux, Le soleil y resta. Voilà pourquoi, le soir, Quand le chat se réveille, J’aperçois dans le noir Deux morceaux de soleil.

— Maurice Carême (1899-1978)
L'arlequin

Le Corbeau et le Renard

Maître Corbeau, sur un arbre perché, Tenait en son bec un fromage. Maître Renard, par l’odeur alléché, Lui tint à peu près ce langage : « Hé ! bonjour, Monsieur du Corbeau. Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau ! Sans mentir, si votre ramage Se rapporte à votre plumage, Vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois. » A ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie ; Et pour montrer sa belle voix, Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie. Le Renard s’en saisit, et dit : « Mon bon Monsieur, Apprenez que tout flatteur Vit aux dépens de celui qui l’écoute : Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute. » Le Corbeau, honteux et confus, Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus.

— Jean de la Fontaine (1621-1695)
Les Fables

Le cygne

Sans bruit, sous le miroir des lacs profonds et calmes, Le cygne chasse l’onde avec ses larges palmes, Et glisse. Le duvet de ses flancs est pareil A des neiges d’avril qui croulent au soleil ; Mais, ferme et d’un blanc mat, vibrant sous le zéphire, Sa grande aile l’entraîne ainsi qu’un lent navire. Il dresse son beau col au-dessus des roseaux, Le plonge, le promène allongé sur les eaux, Le courbe gracieux comme un profil d’acanthe, Et cache son bec noir dans sa gorge éclatante. Tantôt le long des pins, séjour d’ombre et de paix, Il serpente, et laissant les herbages épais Traîner derrière lui comme une chevelure, Il va d’une tardive et languissante allure ; La grotte où le poète écoute ce qu’il sent, Et la source qui pleure un éternel absent, Lui plaisent : il y rôde ; une feuille de saule En silence tombée effleure son épaule ; Tantôt il pousse au large, et, loin du bois obscur, Superbe, gouvernant du côté de l’azur, Il choisit, pour fêter sa blancheur qu’il admire, La place éblouissante où le soleil se mire. Puis, quand les bords de l’eau ne se distinguent plus, A l’heure où toute forme est un spectre confus, Où l’horizon brunit, rayé d’un long trait rouge, Alors que pas un jonc, pas un glaïeul ne bouge, Que les rainettes font dans l’air serein leur bruit Et que la luciole au clair de lune luit, L’oiseau, dans le lac sombre, où sous lui se reflète La splendeur d’une nuit lactée et violette, Comme un vase d’argent parmi des diamants, Dort, la tête sous l’aile, entre deux firmaments.

— Sully Prudhomme (1839-1907)
Les solitudes

Le lézard

Un jour, seul dans le Colisée, Ruine de l’orgueil romain, Sur l’herbe de sang arrosée Je m’assis, Tacite à la main. Je lisais les crimes de Rome, Et l’empire à l’encan vendu, Et, pour élever un seul homme, L’univers si bas descendu. Je voyais la plèbe idolâtre, Saluant les triomphateurs, Baigner ses yeux sur le théâtre Dans le sang des gladiateurs. Sur la muraille qui l’incruste, Je recomposais lentement Les lettres du nom de l’Auguste Qui dédia le monument. J’en épelais le premier signe : Mais, déconcertant mes regards, Un lézard dormait sur la ligne Où brillait le nom des Césars. Seul héritier des sept collines, Seul habitant de ces débris, Il remplaçait sous ces ruines Le grand flot des peuples taris. Sorti des fentes des murailles, Il venait, de froid engourdi, Réchauffer ses vertes écailles Au contact du bronze attiédi. Consul, César, maître du monde, Pontife, Auguste, égal aux dieux, L’ombre de ce reptile immonde Éclipsait ta gloire à mes yeux ! La nature a son ironie Le livre échappa de ma main. Ô Tacite, tout ton génie Raille moins fort l’orgueil humain !

— Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Méditations poétiques inédites

Le Lièvre et la Tortue

Rien ne sert de courir ; il faut partir à point. Le Lièvre et la Tortue en sont un témoignage. Gageons, dit celle-ci, que vous n’atteindrez point Sitôt que moi ce but. – Sitôt ? Etes-vous sage ? Repartit l’animal léger. Ma commère, il vous faut purger Avec quatre grains d’ellébore. – Sage ou non, je parie encore. Ainsi fut fait : et de tous deux On mit près du but les enjeux : Savoir quoi, ce n’est pas l’affaire, Ni de quel juge l’on convint. Notre Lièvre n’avait que quatre pas à faire ; J’entends de ceux qu’il fait lorsque prêt d’être atteint Il s’éloigne des chiens, les renvoie aux Calendes, Et leur fait arpenter les landes. Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter, Pour dormir, et pour écouter D’où vient le vent, il laisse la Tortue Aller son train de Sénateur. Elle part, elle s’évertue ; Elle se hâte avec lenteur. Lui cependant méprise une telle victoire, Tient la gageure à peu de gloire, Croit qu’il y va de son honneur De partir tard. Il broute, il se repose, Il s’amuse à toute autre chose Qu’à la gageure. A la fin quand il vit Que l’autre touchait presque au bout de la carrière, Il partit comme un trait ; mais les élans qu’il fit Furent vains : la Tortue arriva la première. Eh bien ! lui cria-t-elle, avais-je pas raison ? De quoi vous sert votre vitesse ? Moi, l’emporter ! et que serait-ce Si vous portiez une maison ?

— Jean de la Fontaine (1621-1695)
Les Fables

Le papillon

Naître avec le printemps, mourir avec les roses, Sur l’aile du zéphyr nager dans un ciel pur, Balancé sur le sein des fleurs à peine écloses, S’enivrer de parfums, de lumière et d’azur, Secouant, jeune encor, la poudre de ses ailes, S’envoler comme un souffle aux voûtes éternelles, Voilà du papillon le destin enchanté ! Il ressemble au désir, qui jamais ne se pose, Et sans se satisfaire, effleurant toute chose, Retourne enfin au ciel chercher la volupté !

— Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Nouvelles méditations poétiques

Temps calme

Parti très loin Dans mes pensées Je me suis perdu. À le suivre des yeux Un papillon me ramène À moi même. Au bord du lac, Pêcher plus de silence Que de poissons.

— Stéphen Moysan
En route vers l'horizon
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