Éternels Éclairs

À Béranger

Des chants, voilà toute sa vie !
Ainsi qu'un brouillard vaporeux,
Le souffle animé de l'envie
Glissa sur son coeur généreux
Toujours sa plus chère espérance
Rêva le bonheur de la France ;
Toujours il respecta les lois ...
Mais les haines sont implacables,
Et sur le banc des vils coupables
La vertu s'assied quelquefois.

Qu'a-t-il fait ? pourquoi le proscrire ?
Ah ! c'est encor pour des chansons :
Courage ! étouffez la satire,
Au lieu d'écouter ses leçons.
Quand une secte turbulente,
Levant sa tête menaçante,
Brave les décrets souverains,
Vous restez muets, sans vengeance,
Et vous n'usez de la puissance
Que pour combattre des refrains ...

Ô Béranger ! muse chérie !
Toi dont la voix unit toujours
Le souvenir de la patrie
Au souvenir de tes amours,
Tendre ami, poète sublime,
Du pouvoir jaloux qui t'opprime
Tes nobles chants seront vainqueurs ;
Car ils parlent de notre gloire,
Et, comme un récit de victoire,
Ils ont fait palpiter nos coeurs.
Un jour viendra, la France émue
Rendra justice à tes vertus ;
On verra surgir ta statue ...
Mais alors tu ne seras plus !

Car un poète, sur la terre
Doit lutter contre la misère
Et des détracteurs odieux,
Jusqu'au jour où, brisant ses chaînes,
Le droit vient terminer ses peines
Et le placer au rang des dieux.

Mais nous que charma son délire
Quand il chantait la liberté,
Accourons, enfants de la lyre,
Devançons la postérité.
Pour célébrer notre poète,
Pour poser des fleurs sur sa tête,
N'attendons pas qu'il ait vécu ...
Si dans la lutte qui s'engage
Son sort doit être l'esclavage,
Redisons tous : Gloire au vaincu !

— Gérard de Nerval,
Odes et poèmes

Avril

Déjà les beaux jours, - la poussière,
Un ciel d'azur et de lumière,
Les murs enflammés, les longs soirs ; -
Et rien de vert : - à peine encore
Un reflet rougeâtre décore
Les grands arbres aux rameaux noirs !

Ce beau temps me pèse et m'ennuie.
- Ce n'est qu'après des jours de pluie
Que doit surgir, en un tableau,
Le printemps verdissant et rose,
Comme une nymphe fraîche éclose
Qui, souriante, sort de l'eau.

— Gérard de Nerval,
Odelettes

Caligula - I er chant

L'hiver s'enfuit ; le printemps embaumé
Revient suivi des Amours et de Flore ;
Aime demain qui n'a jamais aimé,
Qui fut amant, demain le soit encore !

Hiver était le seul maître des temps,
Lorsque Vénus sortit du sein de l'onde ;
Son premier souffle enfanta le printemps,
Et le printemps fit éclore le monde.

L'été brûlant a ses grasses moissons,
Le riche automne a ses treilles encloses,
L'hiver frileux son manteau de glaçons,
Mais le printemps a l'amour et les roses.

L'hiver s'enfuit, le printemps embaumé
Revient suivi des Amours et de Flore ;
Aime demain qui n'a jamais aimé,
Qui fut amant, demain le soit encore !

— Gérard de Nerval,
Odelettes

Caligula - II ième chant

De roses vermeilles
Nos champs sont fleuris,
Et le bras des treilles
Tend à nos corbeilles
Ses raisins mûris.

Puisque chaque année
Jetant aux hivers
Sa robe fanée,
Renaît couronnée
De feuillages verts,

Puisque toute chose
S'offre à notre main
Pour qu'elle en dispose,
Effeuillons la rose,
Foulons le raisin ;

Car le temps nous presse
D'un constant effort ;
Hier la jeunesse,
Ce soir la vieillesse,
Et demain la mort.

Étrange mystère !
Chaque homme à son tour
Passe solitaire
Un jour sur la terre ;

Mais pendant ce jour,
De roses vermeilles
Nos champs sont fleuris,
Et le bras des treilles
Tend à nos corbeilles
Ses raisins mûris.

— Gérard de Nerval,
Odelettes

Caligula - III ième chant

César a fermé la paupière ;
Au jour doit succéder la nuit ;
Que s'éteigne toute lumière,
Que s'évanouisse tout bruit.

À travers ces arcades sombres,
Enfants aux folles passions,
Disparaissez comme des ombres,
Fuyez comme des visions.

Allez, que le caprice emporte
Chaque âme selon son désir,
Et que, close après vous, la porte
Ne se rouvre plus qu'au plaisir.

— Gérard de Nerval,
Odelettes

Chanson gothique

Belle épousée,
J'aime tes pleurs !
C'est la rosée
Qui sied aux fleurs.

Les belles choses
N'ont qu'un printemps,
Semons de roses
Les pas du Temps !

Soit brune ou blonde
Faut-il choisir ?
Le Dieu du monde,
C'est le Plaisir.

— Gérard de Nerval,
Odelettes

Choeur d'amour

Ici l'on passe
Des jours enchantés !
L'ennui s'efface
Aux coeurs attristés
Comme la trace
Des flots agités.

Heure frivole
Et qu'il faut saisir,
Passion folle
Qui n'est qu'un désir,
Et qui s'envole
Après le plaisir !

— Gérard de Nerval,
Odelettes

Épitaphe

Il a vécu tantôt gai comme un sansonnet,
Tour à tour amoureux insoucieux et tendre,
Tantôt sombre et rêveur comme un triste Clitandre.
Un jour il entendit qu'à sa porte on sonnait.

C'était la Mort ! Alors il la pria d'attendre
Qu'il eût posé le point à son dernier sonnet ;
Et puis sans s'émouvoir, il s'en alla s'étendre
Au fond du coffre froid où son corps frissonnait.

Il était paresseux, à ce que dit l'histoire,
Il laissait trop sécher l'encre dans l'écritoire.
Il voulait tout savoir mais il n'a rien connu.

Et quand vint le moment où, las de cette vie,
Un soir d'hiver, enfin l'âme lui fut ravie,
Il s'en alla disant : " Pourquoi suis-je venu ? "

— Gérard de Nerval,
Poésies diverses

La grand'mère

Voici trois ans qu'est morte ma grand'mère,
La bonne femme, - et, quand on l'enterra,
Parents, amis, tout le monde pleura
D'une douleur bien vraie et bien amère.

Moi seul j'errais dans la maison, surpris
Plus que chagrin ; et, comme j'étais proche
De son cercueil, - quelqu'un me fit reproche
De voir cela sans larmes et sans cris.

Douleur bruyante est bien vite passée :
Depuis trois ans, d'autres émotions,
Des biens, des maux, - des révolutions, -
Ont dans les murs sa mémoire effacée.

Moi seul j'y songe, et la pleure souvent ;
Depuis trois ans, par le temps prenant force,
Ainsi qu'un nom gravé dans une écorce,
Son souvenir se creuse plus avant !

— Gérard de Nerval,
Odelettes

Laisse-moi !

Non, laisse-moi, je t'en supplie ;
En vain, si jeune et si jolie,
Tu voudrais ranimer mon coeur :
Ne vois-tu pas, à ma tristesse,
Que mon front pâle et sans jeunesse
Ne doit plus sourire au bonheur ?

Quand l'hiver aux froides haleines
Des fleurs qui brillent dans nos plaines
Glace le sein épanoui,
Qui peut rendre à la feuille morte
Ses parfums que la brise emporte
Et son éclat évanoui !

Oh ! si je t'avais rencontrée
Alors que mon âme enivrée
Palpitait de vie et d'amours,
Avec quel transport, quel délire
J'aurais accueilli ton sourire
Dont le charme eût nourri mes jours.

Mais à présent, Ô jeune fille !
Ton regard, c'est l'astre qui brille
Aux yeux troublés des matelots,
Dont la barque en proie au naufrage,
À l'instant où cesse l'orage
Se brise et s'enfuit sous les flots.

— Gérard de Nerval,
Odelettes

Le ballet des heures

(Le Dieu Pan parle :)

Les heures sont des fleurs l'une après l'autre écloses
Dans l'éternel hymen de la nuit et du jour ;
Il faut donc les cueillir comme on cueille les roses
Et ne les donner qu'à l'amour.

Ainsi que de l'éclair, rien ne reste de l'heure,
Qu'au néant destructeur le temps vient de donner ;
Dans son rapide vol embrassez la meilleure,
Toujours celle qui va sonner.

Et retenez-la bien au gré de votre envie,
Comme le seul instant que votre âme rêva ;
Comme si le bonheur de la plus longue vie
Était dans l'heure qui s'en va.

Vous trouverez toujours, depuis l'heure première
Jusqu'à l'heure de nuit qui parle douze fois,
Les vignes, sur les monts, inondés de lumière,
Les myrtes à l'ombre des bois.

Aimez, buvez, le reste est plein de choses vaines ;
Le vin, ce sang nouveau, sur la lèvre versé,
Rajeunit l'autre sang qui vieillit dans vos veines
Et donne l'oubli du passé.

Que l'heure de l'amour d'une autre soit suivie,
Savourez le regard qui vient de la beauté ;
Être seul, c'est la mort ! Être deux, c'est la vie !
L'amour c'est l'immortalité !

— Gérard de Nerval,
Odelettes

Le Temps

I

Le Temps ne surprend pas le sage ;
Mais du Temps le sage se rit,
Car lui seul en connaît l'usage ;
Des plaisirs que Dieu nous offrit,
Il sait embellir l'existence ;
Il sait sourire à l'espérance,
Quand l'espérance lui sourit.

II

Le bonheur n'est pas dans la gloire,
Dans les fers dorés d'une cour,
Dans les transports de la victoire,
Mais dans la lyre et dans l'amour.
Choisissons une jeune amante,
Un luth qui lui plaise et l'enchante ;
Aimons et chantons tour à tour !

III

" Illusions ! vaines images ! "
Nous dirons les tristes leçons
De ces mortels prétendus sages
Sur qui l'âge étend ses glaçons ; "
" Le bonheur n'est point sur la terre,
Votre amour n'est qu'une chimère,
Votre lyre n'a que des sons ! "

IV

Ah ! préférons cette chimère
À leur froide moralité ;
Fuyons leur voix triste et sévère ;
Si le mal est réalité,
Et si le bonheur est un songe,
Fixons les yeux sur le mensonge,
Pour ne pas voir la vérité.

V

Aimons au printemps de la vie,
Afin que d'un noir repentir
L'automne ne soit point suivie ;
Ne cherchons pas dans l'avenir
Le bonheur que Dieu nous dispense ;
Quand nous n'aurons plus l'espérance,
Nous garderons le souvenir.

VI

Jouissons de ce temps rapide
Qui laisse après lui des remords,
Si l'amour, dont l'ardeur nous guide,
N'a d'aussi rapides transports :
Profitons de l'adolescence,
Car la coupe de l'existence
Ne pétille que sur ses bords !

— Gérard de Nerval,
Poésies de jeunesse
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