Éternels Éclairs

Conseil

Eh bien ! mêle ta vie à la verte forêt ! Escalade la roche aux nobles altitudes. Respire, et libre enfin des vieilles servitudes, Fuis les regrets amers que ton cœur savourait. Dès l’heure éblouissante où le matin paraît, Marche au hasard ; gravis les sentiers les plus rudes. Va devant toi, baisé par l’air des solitudes, Comme une biche en pleurs qu’on effaroucherait. Cueille la fleur agreste au bord du précipice. Regarde l’antre affreux que le lierre tapisse Et le vol des oiseaux dans les chênes touffus. Marche et prête l’oreille en tes sauvages courses ; Car tout le bois frémit, plein de rhythmes confus, Et la Muse aux beaux yeux chante dans l’eau des sources.

— Théodore de Banville (1823-1891)
Les Cariatides

Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie

Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle, Assise auprès du feu, dévidant et filant, Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant : « Ronsard me célébrait du temps que j’étais belle ! » Lors, vous n’aurez servante oyant telle nouvelle, Déjà sous le labeur à demi sommeillant, Qui au bruit de Ronsard ne s’aille réveillant, Bénissant votre nom de louange immortelle. Je serais sous la terre, et, fantôme sans os, Par les ombres myrteux je prendrai mon repos ; Vous serez au foyer une vieille accroupie, Regrettant mon amour et votre fier dédain. Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain : Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie.

— Pierre de Ronsard (1524-1585)
Sonnets pour Hélène

Enivrez-vous

Il faut être toujours ivre, tout est là ; c'est l'unique question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve. Mais de quoi? De vin, de poésie, ou de vertu à votre guise, mais enivrez-vous! Et si quelquefois, sur les marches d'un palais, sur l'herbe verte d'un fossé, vous vous réveillez, l'ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l'étoile, à l'oiseau, à l'horloge; à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est. Et le vent, la vague, l'étoile, l'oiseau, l'horloge, vous répondront, il est l'heure de s'enivrer ; pour ne pas être les esclaves martyrisés du temps, enivrez-vous, enivrez-vous sans cesse de vin, de poésie, de vertu, à votre guise.

— Charles Baudelaire (1821-1867)
Les petits poèmes en prose

Le ballet des heures

Les heures sont des fleurs l’une après l’autre écloses Dans l’éternel hymen de la nuit et du jour ; Il faut donc les cueillir comme on cueille les roses Et ne les donner qu’à l’amour. Ainsi que de l’éclair, rien ne reste de l’heure, Qu’au néant destructeur le temps vient de donner ; Dans son rapide vol embrassez la meilleure, Toujours celle qui va sonner. Et retenez-la bien au gré de votre envie, Comme le seul instant que votre âme rêva ; Comme si le bonheur de la plus longue vie Était dans l’heure qui s’en va. Vous trouverez toujours, depuis l’heure première Jusqu’à l’heure de nuit qui parle douze fois, Les vignes, sur les monts, inondés de lumière, Les myrtes à l’ombre des bois. Aimez, buvez, le reste est plein de choses vaines ; Le vin, ce sang nouveau, sur la lèvre versé, Rajeunit l’autre sang qui vieillit dans vos veines Et donne l’oubli du passé. Que l’heure de l’amour d’une autre soit suivie, Savourez le regard qui vient de la beauté ; Être seul, c’est la mort ! Être deux, c’est la vie ! L’amour c’est l’immortalité !

— Gérard de Nerval (1808-1855)
Non renseigné

Leçon du maitre

S’armer de patience Pour finir conquis Par la paix intérieure. Au chant des oiseaux S’entrainer au paradis À contempler des fleurs. Elle fait fi des soucis La sagesse de l’esprit D’être fou de bonheur.

— Stéphen Moysan
En route vers l'horizon

A Cassandre

Mignonne, allons voir si la rose Qui ce matin avoit desclose Sa robe de pourpre au Soleil, A point perdu ceste vesprée Les plis de sa robe pourprée, Et son teint au vostre pareil. Las ! voyez comme en peu d’espace, Mignonne, elle a dessus la place Las ! las ses beautez laissé cheoir ! Ô vrayment marastre Nature, Puis qu’une telle fleur ne dure Que du matin jusques au soir ! Donc, si vous me croyez, mignonne, Tandis que vostre âge fleuronne En sa plus verte nouveauté, Cueillez, cueillez vostre jeunesse : Comme à ceste fleur la vieillesse Fera ternir vostre beauté.

— Pierre de Ronsard (1524-1585)
Les Odes

Ne cherche pas, Leuconoé

Ne cherche pas, Leuconoé, c’est sacrilège, Quelle fin les dieux nous ont donnée ; les horoscopes, Ne les consulte pas : mieux vaut subir les choses ! Que Jupiter nous accorde ou non d’autres hivers Après cette tempête qui brise la mer tyrrhénienne Sur les écueils rongés, sois sage, filtre ton vin, Et mesure tes longues espérances. Nous parlons, le temps fuit, Jaloux de nous. Cueille le jour sans croire à demain.

— Horace (65 av. J.-C. - 8 av. J.-C)
Ôdes

Plénitude

Faire le vide en soi - Puis laisser le bien-être Envahir notre esprit. Plus d’envie d’ailleurs, Plus de passé ou futur, - Ici et maintenant ! Profiter de l’instant Pendant des heures Le temps du bonheur.

— Stéphen Moysan
J'écris mes silences

Regrets

Tu vois, Un jour est passé. Quel beau jour c’était ! Mais tu l’ignorais. Tu vois, Bien qu’à ta portée, Tu l’as laissé là Car tu ne savais. Tu vois, Ce jour-là s’offrait. Fallait lui parler. Et qu’en as-tu fait ? Tu vois, Il resta muet et terne d’aspect comme tant de journées. Tu vois, Fallait l’inviter. Fallait le bercer Et t’y réchauffer. Tu vois, Fallait t’y lover Et t’en imprégner. Il t’appartenait. Tu vois, Il s’en est allé Et trop tard tu sais Qu’il ensoleillait. Tu vois, Un jour est passé. Et tu regrettas. Quel beau jour c’était !…

— Esther Granek (1929-2016)
Ballades et réflexions à ma façon

Saisir l’instant

Saisir l’instant tel une fleur Qu’on insère entre deux feuillets Et rien n’existe avant après Dans la suite infinie des heures. Saisir l’instant. Saisir l’instant. S’y réfugier. Et s’en repaître. En rêver. À cette épave s’accrocher. Le mettre à l’éternel présent. Saisir l’instant. Saisir l’instant. Construire un monde. Se répéter que lui seul compte Et que le reste est complément. S’en nourrir inlassablement. Saisir l’instant. Saisir l’instant tel un bouquet Et de sa fraîcheur s’imprégner. Et de ses couleurs se gaver. Ah ! combien riche alors j’étais ! Saisir l’instant. Saisir l’instant à peine né Et le bercer comme un enfant. A quel moment ai-je cessé ? Pourquoi ne puis-je… ?

— Esther Granek (1929-2016)
Je cours après mon ombre
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