Éternels Éclairs

Harmonie du soir

Voici venir les temps où vibrant sur sa tige Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ; Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir ; Valse mélancolique et langoureux vertige ! Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ; Le violon frémit comme un coeur qu'on afflige ; Valse mélancolique et langoureux vertige ! Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir. Le violon frémit comme un coeur qu'on afflige, Un coeur tendre, qui hait le néant vaste et noir ! Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir ; Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige. Un coeur tendre, qui hait le néant vaste et noir, Du passé lumineux recueille tout vestige ! Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige ... Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir !

— Charles Baudelaire (1821-1867)
Les fleurs du mal

Hymne au soleil

Vous avez pris pitié de sa longue douleur ! Vous me rendez le jour, Dieu que l'amour implore ! Déjà mon front couvert d'une molle pâleur, Des teintes de la vie à ses yeux se colore ; Déjà dans tout mon être une douce chaleur Circule avec mon sang, remonte dans mon coeur Je renais pour aimer encore ! Mais la nature aussi se réveille en ce jour ! Au doux soleil de mai nous la voyons renaître ; Les oiseaux de Vénus autour de ma fenêtre Du plus chéri des mois proclament le retour ! Guidez mes premiers pas dans nos vertes campagnes ! Conduis-moi, chère Elvire, et soutiens ton amant : Je veux voir le soleil s'élever lentement, Précipiter son char du haut de nos montagnes, Jusqu'à l'heure où dans l'onde il ira s'engloutir, Et cédera les airs au nocturne zéphyr ! Viens ! Que crains-tu pour moi ? Le ciel est sans nuage ! Ce plus beau de nos jours passera sans orage ; Et c'est l'heure où déjà sur les gazons en fleurs Dorment près des troupeaux les paisibles pasteurs ! Dieu ! que les airs sont doux ! Que la lumière est pure ! Tu règnes en vainqueur sur toute la nature, Ô soleil ! et des cieux, où ton char est porté, Tu lui verses la vie et la fécondité ! Le jour où, séparant la nuit de la lumière, L'éternel te lança dans ta vaste carrière, L'univers tout entier te reconnut pour roi ! Et l'homme, en t'adorant, s'inclina devant toi ! De ce jour, poursuivant ta carrière enflammée, Tu décris sans repos ta route accoutumée ; L'éclat de tes rayons ne s'est point affaibli, Et sous la main des temps ton front n'a point pâli ! Quand la voix du matin vient réveiller l'aurore, L'Indien, prosterné, te bénit et t'adore ! Et moi, quand le midi de ses feux bienfaisants Ranime par degrés mes membres languissants, Il me semble qu'un Dieu, dans tes rayons de flamme, En échauffant mon sein, pénètre dans mon âme ! Et je sens de ses fers mon esprit détaché, Comme si du Très-Haut le bras m'avait touché ! Mais ton sublime auteur défend-il de le croire ? N'es-tu point, ô soleil ! un rayon de sa gloire ? Quand tu vas mesurant l'immensité des cieux, Ô soleil ! n'es-tu point un regard de ses yeux ? Ah ! si j'ai quelquefois, aux jours de l'infortune, Blasphémé du soleil la lumière importune ; Si j'ai maudit les dons que j'ai reçus de toi, Dieu, qui lis dans les coeurs, ô Dieu ! pardonne-moi ! Je n'avais pas goûté la volupté suprême De revoir la nature auprès de ce que j'aime, De sentir dans mon coeur, aux rayons d'un beau jour, Redescendre à la fois et la vie et l'amour ! Insensé ! j'ignorais tout le prix de la vie ! Mais ce jour me l'apprend, et je te glorifie !

— Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Méditations poétiques

Hymne au soleil

Je t'adore, Soleil ! ô toi dont la lumière, Pour bénir chaque front et mûrir chaque miel, Entrant dans chaque fleur et dans chaque chaumière, Se divise et demeure entière Ainsi que l'amour maternel ! Je te chante, et tu peux m'accepter pour ton prêtre, Toi qui viens dans la cuve où trempe un savon bleu Et qui choisis, souvent, quand tu veux disparaître, L'humble vitre d'une fenêtre Pour lancer ton dernier adieu ! Tu fais tourner les tournesols du presbytère, Luire le frère d'or que j'ai sur le clocher, Et quand, par les tilleuls, tu viens avec mystère, Tu fais bouger des ronds par terre Si beaux qu'on n'ose plus marcher ! Gloire à toi sur les prés! Gloire à toi dans les vignes ! Sois béni parmi l'herbe et contre les portails ! Dans les yeux des lézards et sur l'aile des cygnes ! Ô toi qui fais les grandes lignes Et qui fais les petits détails ! C'est toi qui, découpant la soeur jumelle et sombre Qui se couche et s'allonge au pied de ce qui luit, De tout ce qui nous charme as su doubler le nombre, A chaque objet donnant une ombre Souvent plus charmante que lui ! Je t'adore, Soleil ! Tu mets dans l'air des roses, Des flammes dans la source, un dieu dans le buisson ! Tu prends un arbre obscur et tu l'apothéoses ! Ô Soleil ! toi sans qui les choses Ne seraient que ce qu'elles sont !

— Edmond Rostand (1868-1918)
Chantecler

L'orbe d'or

L'orbe d'or du soleil tombé des cieux sans bornes S'enfonce avec lenteur dans l'immobile mer, Et pour suprême adieu baigne d'un rose éclair Le givre qui pétille à la cime des mornes. En un mélancolique et languissant soupir, Le vent des hauts, le long des ravins emplis d'ombres, Agite doucement les tamariniers sombres Où les oiseaux siffleurs viennent de s'assoupir. Parmi les caféiers et les cannes mûries, Les effluves du sol, comme d'un encensoir, S'exhalent en mêlant dans le souffle du soir A l'arome des bois l'odeur des sucreries. Une étoile jaillit du bleu noir de la nuit, Toute vive, et palpite en sa blancheur de perle ; Puis la mer des soleils et des mondes déferle Et flambe sur les flots que sa gloire éblouit. Et l'âme, qui contemple, et soi-même s'oublie Dans la splendide paix du silence divin, Sans regrets ni désirs, sachant que tout est vain, En un rêve éternel s'abîme ensevelie.

— Charles-Marie Leconte de Lisle (1818-1894)
Poèmes tragiques

Le chat et le soleil

Le chat ouvrit les yeux, Le soleil y entra. Le chat ferma les yeux, Le soleil y resta. Voilà pourquoi, le soir, Quand le chat se réveille, J’aperçois dans le noir Deux morceaux de soleil.

— Maurice Carême (1899-1978)
L'arlequin

Le coucher du soleil romantique

Que le soleil est beau quand tout frais il se lève, Comme une explosion nous lançant son bonjour ! - Bienheureux celui-là qui peut avec amour Saluer son coucher plus glorieux qu'un rêve ! Je me souviens ! J'ai vu tout, fleur, source, sillon, Se pâmer sous son oeil comme un coeur qui palpite... - Courons vers l'horizon, il est tard, courons vite, Pour attraper au moins un oblique rayon ! Mais je poursuis en vain le Dieu qui se retire ; L'irrésistible Nuit établit son empire, Noire, humide, funeste et pleine de frissons ; Une odeur de tombeau dans les ténèbres nage, Et mon pied peureux froisse, au bord du marécage, Des crapauds imprévus et de froids limaçons.

— Charles Baudelaire (1821-1867)
Les épaves

Le soleil

Le long du vieux faubourg, où pendent aux masures Les persiennes, abri des secrètes luxures, Quand le soleil cruel frappe à traits redoublés Sur la ville et les champs, sur les toits et les blés, Je vais m’exercer seul à ma fantasque escrime, Flairant dans tous les coins les hasards de la rime, Trébuchant sur les mots comme sur les pavés, Heurtant parfois des vers depuis longtemps rêvés. Ce père nourricier, ennemi des chloroses, Eveille dans les champs les vers comme les roses ; Il fait s’évaporer les soucis vers le ciel, Et remplit les cerveaux et les ruches de miel. C’est lui qui rajeunit les porteurs de béquilles Et les rend gais et doux comme des jeunes filles, Et commande aux moissons de croître et de mûrir Dans le coeur immortel qui toujours veut fleurir ! Quand, ainsi qu’un poète, il descend dans les villes, Il ennoblit le sort des choses les plus viles, Et s’introduit en roi, sans bruit et sans valets, Dans tous les hôpitaux et dans tous les palais.

— Charles Baudelaire (1821-1867)
Les fleurs du mal

Le soleil

Flambeau de l'Univers, charmant père du jour, Globe d'or et de feu, centre de la lumière, Admirable portrait de la cause première, Tu fais de la nature et la joie et l'amour. Comme un superbe roi, qui brille dans sa cour, Couronné de rayons en ta haute carrière, Des portes d'Orient tu franchis la barrière, Pour visiter le Gange et le Pô tour à tour. Ainsi marchant toujours dans la pompe royale, Et courant de l'aurore à l'Inde occidentale, Tu répands en tous lieux ton éclat sans pareil. Mais si je te compare au Dieu de la nature, Dont tu n'es après tout que la faible peinture, Ton éclat n'est qu'une ombre et tu n'es plus soleil.

— Laurent Drelincourt (1625-1680)
Sonnets chrétiens

À trop le regarder On plonge Dans l’obscurité. À lui tourner le dos On fait face À son ombre. Il est pourtant Sans côté sombre Le soleil.

— Stéphen Moysan
En route vers l'Horizon

Soleil

À Charles Derosne. Toute haleine s'évanouit, La terre brûle et voudrait boire, L'ombre est courte, immobile et noire, Et la grande route éblouit. Seules les abeilles vibrantes Élèvent leurs bourdonnements Qui semblent, enflés par moments, Des sons de lyres expirantes. On les voit, ivres de chaleur, D'un vol traînant toutes se rendre Au même tilleul et s'y pendre : Elles tombent de fleur en fleur. Un milan sur ses larges ailes S'arrête : il prend un bain de feu ; On voit tournoyer dans l'air bleu Une vapeur d'insectes grêles. Le soleil semble s'attarder ; Ses traits, blancs d'une ardeur féconde, Criblent en silence le monde, Qui n'ose pas le regarder. Une aigrette de flamme irise Le tranchant des cailloux aigus, Et la lumière aux yeux vaincus À force d'éclat parait grise. Les bêtes, n'ayant plus de paix Avec les taons qu'elles attirent, Craignent la plaine, et se retirent Sous la voûte des bois épais. Couché, les paupières mi-closes, Un homme étend ses membres las : Il contemple, il ne pense pas, Et son âme se mêle aux choses.

— Sully Prudhomme (1839-1907)
Stances Et Poèmes

Soleils couchants

Le soleil s'est couché ce soir dans les nuées ; Demain viendra l'orage, et le soir, et la nuit ; Puis l'aube, et ses clartés de vapeurs obstruées ; Puis les nuits, puis les jours, pas du temps qui s'enfuit ! Tous ces jours passeront ; ils passeront en foule Sur la face des mers, sur la face des monts, Sur les fleuves d'argent, sur les forêts où roule Comme un hymne confus des morts que nous aimons. Et la face des eaux, et le front des montagnes, Ridés et non vieillis, et les bois toujours verts S'iront rajeunissant ; le fleuve des campagnes Prendra sans cesse aux monts le flot qu'il donne aux mers. Mais moi, sous chaque jour courbant plus bas ma tête, Je passe, et, refroidi sous ce soleil joyeux, Je m'en irai bientôt, au milieu de la fête, Sans que rien manque au monde immense et radieux !

— Victor Hugo (1802-1885)
Les Feuilles d'Automne

Soleils couchants

Une aube affaiblie Verse par les champs La mélancolie Des soleils couchants. La mélancolie Berce de doux chants Mon coeur qui s'oublie Aux soleils couchants. Et d'étranges rêves, Comme des soleils Couchants, sur les grèves, Fantômes vermeils, Défilent sans trêves, Défilent, pareils A de grands soleils Couchants sur les grèves.

— Paul Verlaine (1844-1896)
Poèmes saturniens
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