Éternels Éclairs

Florilège de poèmes, chansons, textes, et paroles
de Georges Brassens (1921-1981)



Par Stéphen Moysan

Attention des droits d'auteurs, que nous ne possèdons pas, protègent la majorité des oeuvres ici présentes.

J'ai rendez-vous avec vous

Monseigneur l'astre solaire Comme je ne l'admire pas beaucoup M'enlève son feu, oui mais, d'son feu, moi j'm'en fous J'ai rendez-vous avec vous La lumière que je préfère C'est celle de vos yeux jaloux Tout le restant m'indiffère J'ai rendez-vous avec vous Monsieur mon propriétaire Comme je lui dévaste tout Me chasse de son toit, oui mais, d'son toit, moi j'm'en fous J'ai rendez-vous avec vous La demeure que je préfère C'est votre robe à froufrous Tout le restant m'indiffère J'ai rendez-vous avec vous Madame ma gargotière Comme je lui dois trop de sous Me chasse de sa table, oui mais, d'sa tabl', moi j'm'en fous J'ai rendez-vous avec vous Le menu que je préfère C'est la chair de votre cou Tout le restant m'indiffère J'ai rendez-vous avec vous Sa Majesté financière Comme je n'fais rien à son goût Garde son or, or, de son or, moi j'm'en fous J'ai rendez-vous avec vous La fortune que je préfère C'est votre cœur d'amadou Tout le restant m'indiffère J'ai rendez-vous avec vous

— Georges Brassens (1921-1981)
Chanson

La mauvaise réputation

Au village, sans prétention J'ai mauvaise réputation. Qu' je m' démène, ou qu' je reste coi Je pass' pour un je ne sais quoi, Je ne fais pourtant de tort à personne En suivant mon ch'min de petit bonhomme, Mais les brav's gens n'aiment pas que L'on suive une autre route qu'eux. Non les brav's gens n'aiment pas que L'on suive une autre route qu'eux. Tout le monde médit de moi. Sauf les muets, ça va de soi. Le jour du Quatorze Juillet, Je reste dans mon lit douillet. La musique qui marche au pas, Cela ne me regarde pas. Je ne fais pourtant de tort à personne, En n'écoutant pas le clairon qui sonne. Mais les brav's gens n'aiment pas que L'on suive une autre route qu'eux. Non les brav's gens n'aiment pas que L'on suive une autre route qu'eux. Tout le monde me montre du doigt. Sauf les manchots, ça va de soi. Quand j' croise un voleur malchanceux Poursuivi par un cul-terreux, J'lanc' la patt' et pourquoi le taire Le cul-terreux s' retrouv' par terre. Je ne fais pourtant de tort à personne, En laissant courir les voleurs de pommes. Mais les brav's gens n'aiment pas que L'on suive une autre route qu'eux. Non les brav's gens n'aiment pas que L'on suive une autre route qu'eux. Tout le monde se rue sur moi, Sauf les culs-d'-jatte, ça va de soi. Pas besoin d'être Jérémie Pour d'viner le sort qui m'est promis, S'ils trouv'nt une corde à leur goût, Ils me la passeront au cou. Je ne fais pourtant de tort à personne, En suivant les ch'mins qui n' mèn'nt pas à Rome. Mais les brav's gens n'aiment pas que L'on suive une autre route qu'eux. Non les brav's gens n'aiment pas que L'on suive une autre route qu'eux. Tout le mond' viendra me voir pendu, Sauf les aveugl's, bien entendu.

— Georges Brassens (1921-1981)
Chanson

La Non‐demande en mariage

Ma mie de grâce ne mettons Pas sous la gorge à Cupidon Sa propre flèche Tant d'amoureux l'ont essayé Qui, de leur bonheur, ont payé Ce sacrilège J'ai l'honneur de Ne pas te de- Mander ta main Ne gravons pas nos noms au bas d'un parchemin Laissons le champs libre à l'oiseau Nous serons tous les deux priso- Nniers sur parole Au diable les maîtresses queux Qui attachent les cœurs aux queues Des casseroles J'ai l'honneur de Ne pas te de- Mander ta main Ne gravons pas nos noms au bas d'un parchemin Vénus se fait vielle souvent Elle perd son latin devant La lèchefrite A aucun prix, moi je ne veux Effeuiller dans le pot-au-feu La marguerite J'ai l'honneur de Ne pas te de- Mander ta main Ne gravons pas nos noms au bas d'un parchemin On leur ôte bien des attraits En dévoilant trop les secrets De Mélusine L'encre des billets doux pâlit Vite entre les feuillets des li- Vres de cuisine J'ai l'honneur de Ne pas te de- Mander ta main Ne gravons pas nos noms au bas d'un parchemin Il peut sembler de tout repos De mettre à l'ombre, au fond d'un pot De confiture La jolie pomme défendue Mais elle est cuite, elle a perdu Son goût nature J'ai l'honneur de Ne pas te de- Mander ta main Ne gravons pas nos noms au bas d'un parchemin De servante n'ai pas besoin Et du ménage et de ses soins Je te dispense Qu'en éternelle fiancé A la dame de mes pensées Toujours je pense J'ai l'honneur de Ne pas te de- Mander ta main Ne gravons pas nos noms au bas d'un parchemin

— Georges Brassens (1921-1981)
Chanson

Le fossoyeur

Dieu sait qu'je n'ai pas le fond méchant Je ne souhait' jamais la mort des gens Mais si l'on ne mourait plus J'crèv'rais de faim sur mon talus J'suis un pauvre fossoyeur Les vivants croient qu'je n'ai pas d'remords A gagner mon pain sur l'dos des morts Mais ça m'tracasse et d'ailleurs J'les enterre à contrecœur J'suis un pauvre fossoyeur Et plus j'lâch' la bride à mon émoi Et plus les copains s'amus'nt de moi Y m'dis'nt: « Mon vieux, par moments T'as un' figur' d'enterr'ment » J'suis un pauvre fossoyeur J'ai beau m'dir' que rien n'est éternel J'peux pas trouver ça tout naturel Et jamais je ne parviens A prendr' la mort comme ell' vient J'suis un pauvre fossoyeur Ni vu ni connu, brav' mort adieu! Si du fond d'la terre on voit l'Bon Dieu Dis-lui l'mal que m'a coûté La dernière pelletée J'suis un pauvre fossoyeur

— Georges Brassens (1921-1981)
Chanson

Le gorille

C'est à travers de larges grilles, Que les femelles du canton, Contemplaient un puissant gorille, Sans souci du qu'en-dira-t-on. Avec impudeur ces commères Lorgnaient même un endroit précis Que rigoureusement ma mère M'a défendu d' nommer ici. Gare au gorille... Tout à coup la prison bien close Où vivait le bel animal, S'ouvre on n' sait pourquoi, je suppose Qu'on avait dû la fermer mal ; Le singe en sortant de sa cage dit « C'est aujourd'hui que j' le perds » Il parlait de son pucelage, Vous aviez deviné, j'espère ! Gare au gorille... L' patron d' la ménagerie Criait éperdu « Nom de nom ! C'est assommant, car mon gorille N'a jamais connu de guenon ». Dès que la féminine engeance Sut que le singe était puceau, Au lieu d' profiter d' la chance Elle fit feu des deux fuseaux. Gare au gorille... Celles-là mêmes qui naguère Le couvaient d'un œil décidé, Fuirent prouvant qu'ell's n'avaient guère De la suite dans les idées, D'autant plus vaine était leur crainte Que le gorille est un luron Supérieur à l'homm' dans l'étreinte Bien des femmes vous le diront. Gare au gorille... Tout le monde se précipite Hors d'atteinte du singe en rut, Sauf une vieille décrépite Et un jeune juge en bois brut. Voyant que toutes se dérobent Le quadrumane accéléra Son dandinement vers les robes De la vieille et du magistrat. Gare au gorille... « Bah », soupirait la centenaire « Qu'on pût encor' me désirer Ce serait extraordinaire Et pour tout dire, inespéré ». Le juge pensait, impassible « Qu'on me prenne pour une guenon, C'est complètement impossible ». La suite lui prouva que non. Gare au gorille... Supposez qu'un de vous puisse être Comme le singe obligé de Violer un juge ou une ancêtre, Lequel choisirait-il des deux ? Qu'une alternative pareille Un de ces quatre jours m'échoit C'est j'en suis convaincu, la vieille Qui sera l'objet de mon choix. Gare au gorille... Mais par malheur, si le gorille Au jeu de l'amour vaut son prix, On sait qu'en revanche il ne brille Ni par le goût, ni par l'esprit. Lors au lieu d'opter pour la vieille Comme aurait fait n'importe qui Il saisit le juge à l'oreille Et l'entraîna dans un maquis. Gare au gorille... La suite serait délectable, Malheureusement je ne peux Pas la dire et c'est regrettable, Ça nous aurait fait rire un peu Car le juge au moment suprême Criait « Maman », pleurait beaucoup Comme l'homme auquel le jour même Il avait fait trancher le cou. Gare au gorille...

— Georges Brassens (1921-1981)
Chanson

Le mauvais sujet repenti

Elle avait la taille faite au tour, Les hanches pleines, Et chassait le mâle aux alentours De la Madeleine A sa façon de me dire « Mon rat, Est-ce que je te tente ? » Je vis que j'avais affaire à Une débutante L'avait le don, c'est vrai, j'en conviens, L'avait le génie, Mais, sans technique, un don n'est rien Qu'un' sale manie Certes on ne se fait pas putain Comme on se fait nonne, C'est du moins ce qu'on prêche, en latin, A la Sorbonne Me sentant rempli de pitié Pour la donzelle, Je lui enseignai, de son métier, Les petites ficelles Je lui enseignai le moyen du bientôt Faire fortune, En bougeant l'endroit où le dos Ressemble à la lune Car, dans l'art de faire le trottoir, Je le confesse, Le difficile est du bien savoir Jouer des fesses On ne tortille pas son popotin De la même manière, Pour un droguiste, un sacristain, Un fonctionnaire Rapidement instruite par Mes bons offices, Elle m'investit d'une part Dises bénéfices On s'aida mutuellement, Comme dit le poète. Elle était le corps, naturellement, Puis moi la tête Un soir, à la suite de Manœuvres douteuses, Elle' tomba victime d'une Maladie honteuse Lors, en tout bien, toute amitié, En fille probe, Elle me passa la moitié De ses microbes Après des injections aiguës D'antiseptique, J'abandonnai le métier d'cocu Systématique Elle eut beau pousser des sanglots, Braire à tu'-tête, Comme je n'étais qu'un salaud, Je me fis honnête Sitôt privée de ma tutelle, Ma pauvre amie Courut essuyer du bordel Les infamies Paraît qu'elle se vend même à des flics, Quelle décadence! Y a plus de moralité publique Dans notre France

— Georges Brassens (1921-1981)
Chanson

Le nombril des femmes d'agents de police

Voir le nombril d'la femme d'un flic n'est certainement pas un spectacle Qui, du point d'vue de l'esthétique puisse vous élever au pinacle Il y eut pourtant, dans l'vieux Paris, un honnête homme sans malice Brûlant d'contempler le nombril d'la femme d'un agent de police « Je me fais vieux » gémissait-il, « Et, durant le cours de ma vie J'ai vu bon nombre de nombrils de toutes les catégories Nombrils d'femmes de croque-morts, nombrils d'femmes de bougnats, d'femmes de jocrisses Mais je n'ai jamais vu celui d'la femme d'un agent de police » « Mon père a vu, comme je vous vois des nombrils de femmes de gendarmes Mon frère a goûté plus d'une fois d'ceux des femmes d'inspecteurs, les charmes Mon fils vit le nombril d'la souris d'un ministre de la Justice Et moi, j'n'ai même pas vu l'nombril d'la femme d'un agent de police » Ainsi gémissait en public cet honnête homme vénérable Quand la légitime d'un flic tendant son nombril secourable Lui dit « Je m'en vais mettre fin à votre pénible supplice Vous faire voir le nombril enfin d'la femme d'un agent de police » « Alleluia » fit le bon vieux, « De mes tourments voici la trêve Grâces soient rendues au Bon Dieu, je vais réaliser mon rêve » Il s'engagea, tout attendri sous les jupons d'sa bienfaitrice Braquer ses yeux, sur le nombril d'la femme d'un agent de police Mais, hélas, il était rompu par les effets de sa hantise Et comme il atteignait le but de 50 ans de convoitise La mort, la mort, la mort le prit sur l'abdomen de sa complice Il n'a jamais vu le nombril d'la femme d'un agent de police

— Georges Brassens (1921-1981)
Chanson

Le Parapluie

Il pleuvait fort sur la grand-route Elle cheminait sans parapluie J'en avais un, volé, sans doute Le matin même à un ami Courant alors à sa rescousse Je lui propose un peu d'abri En séchant l'eau de sa frimousse D'un air très doux, elle m'a dit « oui » Un petit coin de parapluie Contre un coin de paradis Elle avait quelque chose d'un ange Un petit coin de paradis Contre un coin de parapluie Je ne perdais pas au change, pardi Chemin faisant, que ce fut tendre D'ouïr à deux le chant joli Que l'eau du ciel faisait entendre Sur le toit de mon parapluie J'aurais voulu, comme au déluge Voir sans arrêt tomber la pluie Pour la garder, sous mon refuge Quarante jours, quarante nuits

— Georges Brassens (1921-1981)
Chanson

Le Petit Cheval

Le petit cheval dans le mauvais temps, Qu'il avait donc du courage ! C'était un petit cheval blanc, Tous derrière tous derrière, C'était un petit cheval blanc, Tous derrière lui devant. Il n'y avait jamais de beau temps Dans ce pauvre paysage, Il n'y avait jamais de printemps, Ni derrière, ni derrière. Il n'y avait jamais de printemps, Ni derrière, ni devant. Mais toujours il était content, Menant les gars du village, A travers la pluie noire des champs, Tous derrière tous derrière, A travers la pluie noire des champs, Tous derrière lui devant. Sa voiture allait poursuivant Sa belle petite queue sauvage. C'est alors qu'il était content, Tous derrière tous derrière, C'est alors qu'il était content, Tous derrière lui devant. Mais un jour, dans le mauvais temps, Un jour qu'il était si sage, Il est mort par un éclair blanc, Tous derrière tous derrière, Il est mort par un éclair blanc, Tous derrière lui devant. Il est mort sans voir le beau temps, Qu'il avait donc du courage ! Il est mort sans voir le printemps Ni derrière, ni derrière. Il est mort sans voir le beau temps, Ni derrière, ni devant.

— Georges Brassens (1921-1981)
Chanson

Les amoureux des bancs publics

Les gens qui voient de travers pensent que les bancs verts Qu'on voit sur les trottoirs Sont faits pour les impotents ou les ventripotents Mais c'est une absurdité car à la vérité, ils sont là c'est notoire Pour accueillir quelque temps les amours débutants Les amoureux qui s'bécotent sur les bancs publics Bancs publics, bancs publics En s'foutant pas mal du regard oblique des passants honnêtes Les amoureux qui s'bécotent sur les bancs publics Bancs publics, bancs publics En s'disant des « je t'aime » pathétiques Ont des petites gueules bien sympathiques Ils se tiennent par la main, parlent du lendemain, du papier bleu d'azur Que revêtiront les murs de leur chambre à coucher Ils se voient déjà doucement elle cousant, lui fumant dans un bien-être sûr Et choisissent les prénoms de leur premier bébé Les amoureux qui s'bécotent sur les bancs publics Bancs publics, bancs publics En s'foutant pas mal du regard oblique des passants honnêtes Les amoureux qui s'bécotent sur les bancs publics Bancs publics, bancs publics En s'disant des « je t'aime » pathétiques Ont des p'tites gueules bien sympathiques Quand la sainte famille machin croise sur son chemin deux de ces malappris Elle leur décoche hardiment des propos venimeux N'empêche que toute la famille Le père, la mère, la fille, le fils, le Saint Esprit Voudrait bien de temps en temps pouvoir s'conduire comme eux Les amoureux qui s'bécotent sur les bancs publics Bancs publics, bancs publics En s'foutant pas mal du regard oblique des passants honnêtes Les amoureux qui s'bécotent sur les bancs publics Bancs publics, bancs publics En s'disant des « je t'aime » pathétiques Ont des p'tites gueules bien sympathiques Quand les mois auront passé, quand seront apaisés leurs beaux rêves flambants Quand leur ciel se couvrira de gros nuages lourds Ils s'apercevront émus qu'c'est au hasard des rues sur un d'ces fameux bancs Qu'ils ont vécu le meilleur morceau de leur amour Les amoureux qui s'bécotent sur les bancs publics Bancs publics, bancs publics En s'foutant pas mal du regard oblique des passants honnêtes Les amoureux qui s'bécotent sur les bancs publics Bancs publics, bancs publics En s'disant des « je t'aime » pathétiques Ont des p'tites gueules bien sympathiques

— Georges Brassens (1921-1981)
Chanson

Les Copains D'abord

Non, ce n'était pas le radeau De la Méduse, ce bateau Qu'on se le dise au fond des ports Dise au fond des ports Il naviguait en père peinard Sur la grand-mare des canards Et s'appelait les Copains d'abord Les Copains d'abord Ses fluctuat nec mergitur C'était pas d'la littérature N'en déplaise aux jeteurs de sort Aux jeteurs de sort Son capitaine et ses matelots N'étaient pas des enfants d'salauds Mais des amis franco de port Des copains d'abord C'était pas des amis de luxe Des petits Castor et Pollux Des gens de Sodome et Gomorrhe Sodome et Gomorrhe C'était pas des amis choisis Par Montaigne et La Boétie Sur le ventre ils se tapaient fort Les copains d'abord C'était pas des anges non plus L'Évangile, ils l'avaient pas lu Mais ils s'aimaient toutes voiles dehors Toutes voiles dehors Jean, Pierre, Paul et compagnie C'était leur seule litanie Leur Credo, leur Confiteor Aux copains d'abord Au moindre coup de Trafalgar C'est l'amitié qui prenait l'quart C'est elle qui leur montrait le nord Leur montrait le nord Et quand ils étaient en détresse Qu'leurs bras lançaient des S.O.S. On aurait dit les sémaphores Les copains d'abord Au rendez-vous des bons copains Y avait pas souvent de lapins Quand l'un d'entre eux manquait à bord C'est qu'il était mort Oui, mais jamais, au grand jamais Son trou dans l'eau n'se refermait Cent ans après, coquin de sort Il manquait encore Des bateaux j'en ai pris beaucoup Mais le seul qu'ait tenu le coup Qui n'ai jamais viré de bord Mais viré de bord Naviguait en père peinard Sur la grand-mare des canards Et s'appelait les Copains d'abord Les Copains d'abord Des bateaux j'en ai pris beaucoup Mais le seul qu'ait tenu le coup Qui n'ai jamais viré de bord Mais viré de bord Naviguait en père peinard Sur la grand-mare des canards Et s'appelait les Copains d'abord Les Copains d'abord

— Georges Brassens (1921-1981)
Chanson

Mourir pour des idées

Mourir pour des idées L'idée est excellente Moi j'ai failli mourir de ne l'avoir pas eue Car tous ceux qui l'avaient Multitude accablante En hurlant à la mort me sont tombés dessus Ils ont su me convaincre Et ma muse insolente Abjurant ses erreurs se rallie à leur foi Avec un soupçon de réserve toutefois Mourons pour des idées, d'accord, mais de mort lente D'accord, mais de mort lente Jugeant qu'il n'y a pas Péril en la demeure Allons vers l'autre monde en flânant en chemin Car, à forcer l'allure Il arrive qu'on meure Pour des idées n'ayant plus cours le lendemain Or, s'il est une chose Amère, désolante En rendant l'âme à Dieu, c'est bien de constater Qu'on a fait fausse route, qu'on s'est trompé d'idée Mourons pour des idées, d'accord, mais de mort lente D'accord, mais de mort lente Les Saint Jean bouche d'or Qui prêchent le martyre Le plus souvent d'ailleurs, s'attardent ici-bas Mourir pour des idées C'est le cas de le dire C'est leur raison de vivre, ils ne s'en privent pas Dans presque tous les camps On en voit qui supplantent Bientôt Mathusalem dans la longévité J'en conclus qu'ils doivent se dire En aparté, mourons pour des idées, d'accord, mais de mort lente D'accord, mais de mort lente Des idées réclamant Le fameux sacrifice Les sectes de tout poil en offrent des séquelles Et la question se pose Aux victimes novices Mourir pour des idées, c'est bien beau mais lesquelles? Et comme toutes sont entre elles ressemblantes Quand il les voit venir Avec leur gros drapeau Le sage, en hésitant Tourne autour du tombeau, mourons pour des idées, d'accord, mais de mort lente D'accord, mais de mort lente Encore s'il suffisait De quelques hécatombes Pour qu'enfin tout changeât, qu'enfin tout s'arrangeât Depuis tant de grands soirs que tant de têtes tombent Au paradis sur terre, on y serait déjà Mais l'âge d'or sans cesse Est remis aux calendes Les Dieux ont toujours soif, n'en ont jamais assez Et c'est la mort, la mort Toujours recommencée, mourons pour des idées, d'accord, mais de mort lente D'accord, mais de mort lente Ô vous, les boutefeux Ô vous les bons apôtres Mourez donc les premiers, nous vous cédons le pas Mais de grâce, morbleu Laissez vivre les autres La vie est à peu près leur seul luxe ici-bas Car, enfin, la Camarde Est assez vigilante Elle n'a pas besoin qu'on lui tienne la faux Plus de danse macabre Autour des échafauds, mourons pour des idées, d'accord, mais de mort lente D'accord, mais de mort lente

— Georges Brassens (1921-1981)
Chanson

P de toi

En ce temps-là, je vivais dans la lune Les bonheurs d'ici-bas m'étaient tous défendus Je semais des violettes et chantais pour des prunes Et tendais la patte aux chats perdus Ah, ah, ah, ah putain de toi Ah, ah, ah, ah pauvre de moi Un soir de pluie v'là qu'on gratte à ma porte Je m'empresse d'ouvrir, sans doute un nouveau chat Nom de dieu l'beau félin que l'orage m'apporte C'était toi, c'était toi, c'était toi Ah, ah, ah, ah putain de toi Ah, ah, ah, ah pauvre de moi Les yeux fendus et couleur de pistache T'as posé sur mon cœur ta patte de velours Fort heureusement pour moi t'avais pas de moustache Et ta vertu ne pesait pas trop lourd Ah, ah, ah, ah putain de toi Ah, ah, ah, ah pauvre de moi Aux quatre coins de ma vie de bohème Tu as promené, tu as promené le feu de tes 20 ans Et pour moi, pour mes chats, pour mes fleurs, mes poèmes C'était toi la pluie et le beau temps Ah, ah, ah, ah putain de toi Ah, ah, ah, ah pauvre de moi Mais le temps passe et fauche à l'aveuglette Notre amour mûrissait à peine que déjà Tu brûlais mes chansons, crachais sur mes violettes Et faisais des misères à mes chats Ah, ah, ah, ah putain de toi Ah, ah, ah, ah pauvre de moi Le comble enfin, misérable salope Comme il n'restait plus rien dans le garde-manger T'as couru sans vergogne, et pour une escalope Te jeter dans le lit du boucher Ah, ah, ah, ah putain de toi Ah, ah, ah, ah pauvre de moi C'était fini, t'avais passé les bornes Et renonçant aux amours frivoles d'ici-bas J'suis remonté dans la lune en emportant mes cornes Mes chansons, et mes fleurs, et mes chats Ah, ah, ah, ah putain de toi Ah, ah, ah, ah pauvre de moi

— Georges Brassens (1921-1981)
Chanson

Pauvre Martin

Avec une bêche à l'épaule Avec, à la lèvre, un doux chant Avec, à la lèvre, un doux chant Avec, à l'âme, un grand courage Il s'en allait trimer aux champs Pauvre Martin, pauvre misère Creuse la terre, creuse le temps Pour gagner le pain de sa vie De l'aurore jusqu'au couchant De l'aurore jusqu'au couchant Il s'en allait bêcher la terre En tous les lieux, par tous les temps Pauvre Martin, pauvre misère Creuse la terre, creuse le temps Sans laisser voir, sur son visage Ni l'air jaloux ni l'air méchant Ni l'air jaloux ni l'air méchant Il retournait le champ des autres Toujours bêchant, toujours bêchant Pauvre Martin, pauvre misère Creuse la terre, creuse le temps Et quand la mort lui a fait signe De labourer son dernier champ De labourer son dernier champ Il creusa lui-même sa tombe En faisant vite, en se cachant Pauvre Martin, pauvre misère Creuse la terre, creuse le temps Il creusa lui-même sa tombe En faisant vite, en se cachant En faisant vite, en se cachant Et s'y étendit sans rien dire Pour ne pas déranger les gens Pauvre Martin, pauvre misère Dort sous la terre, dort sous le temps Un petit coin de parapluie Contre un coin de paradis Elle avait quelque chose d'un ange Un petit coin de paradis Contre un coin de parapluie Je ne perdais pas au change, pardi Mais bêtement, même en orage Les routes vont vers des pays Bientôt le sien fit un barrage À l'horizon de ma folie Il a fallu qu'elle me quitte Après m'avoir dit grand merci Et je l'ai vue toute petite Partir gaiement vers mon oubli Un petit coin de parapluie Contre un coin de paradis Elle avait quelque chose d'un ange Un petit coin de paradis Contre un coin de parapluie Je ne perdais pas au change, pardi

— Georges Brassens (1921-1981)
Chanson
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