Éternels Éclairs

On dit : fou de joie On devrait dire : sage de douleur, Mais conquérir le bonheur vaut mieux Que s’abandonner à la tristesse. Prends ton bien-être en urgence Plutôt que ton mal en patience, Ne te lasse pas de crier ta gaieté Et tu n’entendras plus d’autres cris.

1-2 Marguerite Yourcenar
3-4 Andre Gide
5-6 Inconnu
7-8 Proverbe touareg
Mixage poétique : Stéphen Moysan
— Stéphen Moysan
Mixages poétiques

Bonheur lucide

J'avais le souvenir d'ineffables aurores, De ruisseaux cascadants cachés dans les vallons, De pourpres archipels et de grèves sonores Que visitent les flots crêtes et les hérons. Je gardais le sourire accueillant des pinières Qui filtrent le soleil dans leur dôme verni. J'avais en moi des horizons où les rivières, Dévalant des hauteurs, coulent vers l'infini. Et lorsque je voulus m'exprimer, ô Nature, Je trouvai ma pensée unie à ton décor, Fondue en toi, plus souple, harmonieuse et pure Et sachant se parer de symboles et d'or. Ce n'étaient, cependant, que des baisers rapides Ces révélations de formes, de couleurs ; Je passais, tu venais me ravir, mais stupide J'allais chercher au loin des plaisirs tapageurs. Aujourd'hui l'art m'a fait abandonner la hâte De voir ce qui m'attend au terme du chemin. Et chasse de mon cœur l'accoutumance ingrate D'assujettir le jour présent au lendemain. Libre, je viens à toi. Nature qui m'appelles. Déjà mes pas, froissant le trèfle, ont dégagé L'odeur d'après-midi vaguement sensuelles. Je m'enivre de paix riante et d'air léger. La lumière éblouit l'esprit et l'étendue. Les montagnes, là-bas, où finit le lac bleu, Avec les bois distants en chaîne continue, Font un cirque parfait, d'un dessin fabuleux. Des arbres espacés monte le chant des grives. La beauté de ce jour en moi trouve son nid, Et semble une caresse ancienne que ravive Un cœur infiniment lucide et rajeuni.

— Alphonse Beauregard (1881-1924)
Les alternances

Éclaircie

Quand on est sous l'enchantement D'une faveur d'amour nouvelle, On s'en défendrait vainement, Tout le révèle : Comme fuit l'or entre les doigts, Le trop-plein de bonheur qu'on sème, Par le regard, le pas, la voix, Crie : elle m'aime ! Quelque chose d'aérien Allège et soulève la vie, Plus rien ne fait peine, et plus rien Ne fait envie : Les choses ont des airs contents, On marche au hasard, l'âme en joie, Et le visage en même temps Rit et larmoie ; On s'oublie, aux yeux étonnés Des enfants et des philosophes, En grands gestes désordonnés, En apostrophes ! La vie est bonne, on la bénit, On rend justice à la nature ! Jusqu'au rêve de faire un nid L'on s'aventure...

— René-François Sully Prudhomme (1839-1907)
Les vaines tendresses

Le bonheur

Le bonheur, ce n'est point aimer, puisque l'on pleure. Le bonheur, ce n'est point savoir : on ne sait rien. Est-ce vivre ? La vie est-elle un si grand bien ? Est-ce mourir ? La mort n'est-elle pas un leurre ? Ce n'est point se blesser à nos amours d'une heure, Ni, sans ailes, tenter l'essor aérien. Ce n'est pas habiter la terre, et l'on peut bien Ne pas croire qu'une autre étoile soit meilleure. — Faible cœur, sais-tu bien, avant de blasphémer, Ce qu'ouvre le tombeau qui vient de se fermer ; Et que, tant qu'en nos yeux la lumière demeure, Le bonheur, c'est marcher libre dans le devoir ; C'est s'élever sans fin vers l'infini savoir. Le bonheur, c'est aimer aussi, puisque l'on pleure.

— Albert Mérat (1840-1909)
Les chimères

Leçon du maître

S’armer de patience Pour finir conquis Par la paix intérieure. Au chant des oiseaux S’entraîner au paradis À contempler des fleurs. Elle fait fi des soucis La sagesse de l’esprit D’être fou de bonheur.

— Stéphen Moysan
En route vers l'horizon

Ne nous plaignons pas

Va, ne nous plaignons pas de nos heures d'angoisse. Un trop facile amour n'est pas sans repentir ; Le bonheur se flétrit, comme une fleur se froisse Dès qu'on veut l'incliner vers soi pour la sentir. Regarde autour de nous ceux qui pleuraient naguère Les voilà l'un à l'autre, ils se disent heureux, Mais ils ont à jamais violé le mystère Qui faisait de l'amour un infini pour eux. Ils se disent heureux ; mais, dans leurs nuits sans fièvres, Leurs yeux n'échangent plus les éclairs d'autrefois ; Déjà sans tressaillir ils se baisent les lèvres, Et nous, nous frémissons rien qu'en mêlant nos doigts. Ils se disent heureux, et plus jamais n'éprouvent Cette vive brûlure et cette oppression Dont nos cœurs sont saisis quand nos yeux se retrouvent ; Nous nous sommes toujours une apparition ! Ils se disent heureux, parce qu'ils peuvent vivre De la même fortune et sous le même toit ; Mais ils ne sentent plus un cher secret les suivre ; Ils se disent heureux, et le monde les voit !

— René-François Sully Prudhomme (1839-1907)
Les solitudes

Plénitude

Faire le vide en soi - Puis laisser le bien-être Envahir notre esprit. Plus d’envie d’ailleurs, Plus de passé ou futur, - Ici et maintenant ! Profiter de l’instant Pendant des heures Le temps du bonheur.

— Stéphen Moysan
J'écris mes silences

Printemps

Voici donc les longs jours, lumière, amour, délire ! Voici le printemps ! mars, avril au doux sourire, Mai fleuri, juin brûlant, tous les beaux mois amis ! Les peupliers, au bord des fleuves endormis, Se courbent mollement comme de grandes palmes ; L'oiseau palpite au fond des bois tièdes et calmes ; Il semble que tout rit, et que les arbres verts Sont joyeux d'être ensemble et se disent des vers. Le jour naît couronné d'une aube fraîche et tendre ; Le soir est plein d'amour ; la nuit, on croit entendre, A travers l'ombre immense et sous le ciel béni, Quelque chose d'heureux chanter dans l'infini.

— Victor Hugo (1802-1885)
Toute la lyre

Sensation

Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers, Picoté par les blés, fouler l’herbe menue : Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds. Je laisserai le vent baigner ma tête nue. Je ne parlerai pas, je ne penserai rien : Mais l’amour infini me montera dans l’âme, Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien, Par la Nature, – heureux comme avec une femme.

— Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésies

Sonnet à mon ami R

J'avais toujours rêvé le bonheur en ménage, Comme un port où le cœur, trop longtemps agité, Vient trouver, à la fin d'un long pèlerinage, Un dernier jour de calme et de sérénité. Une femme modeste, à peu près de mon âge Et deux petits enfants jouant à son côté ; Un cercle peu nombreux d'amis du voisinage, Et de joyeux propos dans les beaux soirs d'été. J'abandonnais l'amour à la jeunesse ardente Je voulais une amie, une âme confidente, Où cacher mes chagrins, qu'elle seule aurait lus ; Le ciel m'a donné plus que je n'osais prétendre ; L'amitié, par le temps, a pris un nom plus tendre, Et l'amour arriva qu'on ne l'attendait plus.

— Félix Arvers (1806-1850)
Mes heures perdues

Vacances

Tiède est le vent Chaud est le temps Fraîche est ta peau Doux, le moment Blanc est le pain Bleu est le ciel Rouge est le vin D’or est le miel Odeurs de mer Embruns, senteurs Parfums de terre D’algues, de fleurs Gai est ton rire Plaisant ton teint Bons, les chemins Pour nous conduire Lumière sans voile Jours à chanter Millions d’étoiles Nuits à danser Légers, nos dires Claires, nos voix Lourd, le désir Pesants, nos bras Tiède est le vent Chaud est le temps Fraîche est ta peau Doux, le moment Doux le moment… Doux le moment…

— Esther Granek (1927-2016)
Ballades et réflexions à ma façon
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