Éternels Éclairs

La jalousie

Dernier trésor d’une amie, Toi dont les chastes amours Aux jours sombres de ma vie Font succéder de beaux jours, Ah ! Pardonne à ma tendresse Le caprice et le soupçon ; Quand on aime avec ivresse On perd souvent la raison. Je sais que ton âme pure Méprise un art imposteur, Que je te fais une injure En soupçonnant ta candeur. J’abhorre la jalousie, Qui m’atteint de son poison ; Mais je t’aime à la folie ; Je perds souvent la raison. À mes injustes alarmes Loin d’opposer des froideurs, Lorsque tu verras mes larmes Presse ton cœur sur mon cœur ; Qu’un regard, un doux sourire, Bannissent mon noir soupçon ; Montre-moi plus de délire, Et j’aurai plus de raison.

— Adélaïde Dufrénoy (1765-1825)
Elégies, suivies de poésies diverses

La couronne effeuillée

J'irai, j'irai porter ma couronne effeuillée Au jardin de mon père où revit toute fleur ; J'y répandrai longtemps mon âme agenouillée : Mon père a des secrets pour vaincre la douleur. J'irai, j'irai lui dire, au moins avec mes larmes : « Regardez, j'ai souffert ...» il me regardera, Et sous mes jours changés, sous ms pâleurs sans charmes, Parce qu'il est mon père il me reconnaîtra. Il dira : « C'est donc vous, chère âme désolée La terre manque-t-elle à vos pas égarés ? Chère âme, je suis Dieu : ne soyez plus troublée ; Voici votre maison, voici mon coeur, entrez ! » Ô clémence ! ô douceur ! ô saint refuge ! ô père ! Votre enfant qui pleurait vous l'avez entendu ! Je vous obtiens déjà puisque je vous espère Et que vous possédez tout ce que j'ai perdu. Vous ne rejetez pas la fleur qui n'est plus belle ; Ce crime de la terre au ciel est pardonné. Vous ne maudirez pas votre enfant infidèle, Non d'avoir rien vendu, mais d'avoir tout donné.

— Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859)
Poésies inédites

L’oreiller d’un enfant

Cher petit oreiller, doux et chaud sous ma tête, Plein de plume choisie, et blanc, et fait pour moi ! Quand on a peur du vent, des loups, de la tempête, Cher petit oreiller, que je dors bien sur toi ! Beaucoup, beaucoup d’enfants, pauvres et nus, sans mère, Sans maison, n’ont jamais d’oreiller pour dormir ; Ils ont toujours sommeil, ô destinée amère ! Maman ! douce maman ! cela me fait gémir …

— Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859)
Poésies inédites

À Aurore

La nature est tout ce qu’on voit, Tout ce qu’on veut, tout ce qu’on aime. Tout ce qu’on sait, tout ce qu’on croit, Tout ce que l’on sent en soi-même. Elle est belle pour qui la voit, Elle est bonne à celui qui l’aime, Elle est juste quand on y croit Et qu’on la respecte en soi-même. Regarde le ciel, il te voit, Embrasse la terre, elle t’aime. La vérité c’est ce qu’on croit En la nature c’est toi-même.

— George Sand (1804-1876)
Contes d’une grand’mère vol. 1 (1873)

Correspondance

Cher ami, Je suis toute émue de vous dire que j'ai bien compris l'autre jour que vous aviez toujours une envie folle de me faire danser. Je garde le souvenir de votre baiser et je voudrais bien que ce soit une preuve que je puisse être aimée par vous. Je suis prête à montrer mon affection toute désintéressée et sans cal- cul, et si vous voulez me voir ainsi vous dévoiler, sans artifice, mon âme toute nue, daignez me faire visite, nous causerons et en amis franchement je vous prouverai que je suis la femme sincère, capable de vous offrir l'affection la plus profonde, comme la plus étroite amitié, en un mot : la meilleure épouse dont vous puissiez rêver. Puisque votre âme est libre, pensez que l'abandon où je vis est bien long, bien dur et souvent bien insupportable. Mon chagrin est trop gros. Accourez bien vite et venez me le faire oublier. À vous je veux me sou- mettre entièrement. Votre poupée (Correspondance de George Sand à Alfred de Musset. Conseil de lecture : Lire une ligne sur deux) * * * D'Alfred de Musset à George Sand. Quand je mets à vos pieds un éternel hommage, Voulez-vous qu'un instant je change de visage ? Vous avez capturé les sentiments d'un coeur Que pour vous adorer forma le créateur. Je vous chéris, amour, et ma plume en délire Couche sur le papier ce que je n'ose dire. Avec soin de mes vers lisez les premiers mots, Vous saurez quel remède apporter à mes maux. * * * De George Sand à Alfred de Musset. Cette insigne faveur que votre coeur réclame Nuit à ma renommée et répugne à mon âme.

— George Sand (1804-1876)
Correspondance

La voix

Cher ami, La neige au loin couvre la terre nue ; Les bois déserts étendent vers la nue Leurs grands rameaux qui, noirs et séparés, D'aucune feuille encor ne sont parés ; La sève dort et le bourgeon sans force Est pour longtemps engourdi sous l'écorce ; L'ouragan souffle en proclamant l'hiver Qui vient glacer l'horizon découvert. Mais j'ai frémi sous d'invisibles flammes Voix du printemps qui remuez les âmes, Quand tout est froid et mort autour de nous, Voix du printemps, ô voix, d'où venez-vous ?...

— Ondine Valmore (1821-1853)
-

Adieu à la poésie

Mes pleurs sont à moi, nul au monde Ne les a comptés ni reçus, Pas un oeil étranger qui sonde Les désespoirs que j’ai conçus. L’être qui souffre est un mystère Parmi ses frères ici-bas ; Il faut qu’il aille solitaire S’asseoir aux portes du trépas. J’irai seule et brisant ma lyre, Souffrant mes maux sans les chanter ; Car je sentirais à les dire Plus de douleur qu’à les porter.

— Louise Ackermann (1871-1945)
Paris, 1835

L’automne

Voici venu le froid radieux de septembre : Le vent voudrait entrer et jouer dans les chambres ; Mais la maison a l’air sévère, ce matin, Et le laisse dehors qui sanglote au jardin. Comme toutes les voix de l’été se sont tues ! Pourquoi ne met-on pas de mantes aux statues ? Tout est transi, tout tremble et tout a peur ; je crois Que la bise grelotte et que l’eau même a froid. Les feuilles dans le vent courent comme des folles ; Elles voudraient aller où les oiseaux s’envolent, Mais le vent les reprend et barre leur chemin Elles iront mourir sur les étangs demain. Le silence est léger et calme ; par minute Le vent passe au travers comme un joueur de flûte, Et puis tout redevient encor silencieux, Et l’Amour qui jouait sous la bonté des cieux S’en revient pour chauffer devant le feu qui flambe Ses mains pleines de froid et ses frileuses jambes, Et la vieille maison qu’il va transfigurer Tressaille et s’attendrit de le sentir entrer.

— Anna de Noailles (1876-1933)
Le coeur innombrable

Je me souviens de mon enfance

Je me souviens de mon enfance Et du silence où j’avais froid ; J’ai tant senti peser sur moi Le regard de l’indifférence. Ô jeunesse, je te revois Toute petite et repliée, Assise et recueillant les voix De ton âme presque oubliée.

— Cécile Sauvage (1883-1927)
Mélancolie

Je ne peux rien retenir

Je ne peux rien retenir, Ni la lune ni la brise, Ni la couleur rose et grise D’un étang plein de dormir ; Ni l’amitié ni ma vie, Ombre fuyante et pâlie Dont je perds le souvenir.

— Cécile Sauvage (1883-1927)
Fumées

Contradictions

Ils cohabitent en moi. Se battent sans qu’on le voie : Le passé le présent Le futur et maintenant L’illusion et le vrai Le maussade et le gai La bêtise la raison Et les oui et les non L’amour de ma personne Les dégoûts qu’elle me donne Les façades qu’on se fait Et ce qui derrière est Et les peurs qu’on avale Les courages qu’on étale Les envies de dire zut Et les besoins de lutte Et l’humain et la bête Et le ventre et la tête Les sens et la vertu Le caché et le nu L’aimable et le sévère Le prude et le vulgaire Le parleur le taiseux Le brave et le peureux Et le fier et le veule… Pour tout ça je suis seul.

— Esther Granek (1927-2016)
Ballades et réflexions à ma façon

Toi

Toi c’est un mot Toi c’est une voix Toi c’est tes yeux et c’est ma joie Toi c’est si beau Toi c’est pour moi Toi c’est bien là et je n’y crois Toi c’est soleil Toi c’est printemps Toi c’est merveille de chaque instant Toi c’est présent Toi c’est bonheur Toi c’est arc-en-ciel dans mon coeur Toi c’est distant… Toi c’est changeant… Toi c’est rêvant et esquivant… Toi c’est pensant… Toi c’est taisant… Toi c’est tristesse qui me prend… Toi c’est fini. Fini ? Pourquoi ? Toi c’est le vide dans mes bras… Toi c’est mon soleil qui s’en va… Et moi, je reste, pleurant tout bas.

— Esther Granek (1927-2016)
Ballades et réflexions à ma façon

Une histoire

Et c’est au fil de nos sourires que se noua le premier fil. Et c’est au fil de nos désirs qu’il se multiplia par mille. Était-ce au fil de mes espoirs qu’en araignée tu fis ta toile ? Car c’est au fil de tes départs qu’au piège je fus l’animal… alors qu’au fil de ton plaisir se brisera… le dernier fil.

— Esther Granek (1927-2016)
Je cours après mon ombre

Vacances

Tiède est le vent Chaud est le temps Fraîche est ta peau Doux, le moment Blanc est le pain Bleu est le ciel Rouge est le vin D’or est le miel Odeurs de mer Embruns, senteurs Parfums de terre D’algues, de fleurs Gai est ton rire Plaisant ton teint Bons, les chemins Pour nous conduire Lumière sans voile Jours à chanter Millions d’étoiles Nuits à danser Légers, nos dires Claires, nos voix Lourd, le désir Pesants, nos bras Tiède est le vent Chaud est le temps Fraîche est ta peau Doux le moment Doux le moment… Doux le moment…

— Esther Granek (1927-2016)
Ballades et réflexions à ma façon

Fleur bleue Aux idées noires Mais la main verte Passe ses nuits blanches À jardiner sa matière grise Pour voir éclore la vie en rose

— Essence
Poème de Twitter

Écrire n'est pas qu'écrire C'est d'abord l'idée investie Qui surgit Inopinément Magique Sur le papier, elle s'exprime Et là s'impriment sentiments, Désirs Rêves Une vie L'âme à nu Des flammes entre les doigts ... Ensuite Lire n'est pas que lire

— Essence
Poème de Twitter

Atteignant la saison de leur majorité Les feuilles Pudiques Rougissent À l'idée de devoir Déshabiller Un arbre Pour leur première fois Automne

—Essence - Sous son autre pseudo Neige
Poème de Twitter
}