Éternels Éclairs

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Les roses sont rouges, Les violettes sont bleues, Les soucis sont orange, Le soleil jaune a la main verte, Les clochettes ne sonnent pas, Les lupins volent le sol riche, Les iris brillent dans les yeux, Marguerite, le parfum des je t’aime.

— Stéphen Moysan
Stances : Croquis sur l'amour

A une fleur séchée dans un album

Il m'en souvient, c'était aux plages Où m'attire un ciel du midi, Ciel sans souillure et sans orages, Où j'aspirais sous les feuillages Les parfums d'un air attiédi. Une mer qu'aucun bord n'arrête S'étendait bleue à l'horizon; L'oranger, cet arbre de fête, Neigeait par moments sur ma tête ; Des odeurs montaient du gazon. Tu croissais près d'une colonne D'un temple écrasé par le temps ; Tu lui faisais une couronne, Tu parais son tronc monotone Avec tes chapiteaux flottants ; Fleur qui décores la ruine Sans un regard pour t'admirer ! Je cueillis ta blanche étamine, Et j'emportai sur ma poitrine Tes parfums pour les respirer. Aujourd'hui, ciel, temple, rivage, Tout a disparu sans retour Ton parfum est dans le nuage, Et je trouve, en tournant la page, La trace morte d'un beau jour !

— Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Méditations poétiques

À une tulipe

Ô rare fleur, ô fleur de luxe et de décor, Sur ta tige toujours dressée et triomphante, Le Velasquez eût mis à la main d'une infante Ton calice lamé d'argent, de pourpre et d'or. Mais, détestant l'amour que ta splendeur enfante, Maîtresse esclave, ainsi que la veuve d'Hector, Sous la loupe d'un vieux, inutile trésor, Tu t'alanguis dans une atmosphère étouffante. Tu penses à tes sœurs des grands parcs, et tu peux Regretter le gazon des boulingrins pompeux, La fraîcheur du jet d'eau, l'ombrage du platane ; Car tu n'as pour amant qu'un bourgeois de Harlem, Et dans la serre chaude, ainsi qu'en un harem, S'exhalent sans parfum tes ennuis de sultane.

— François Coppée (1842-1908)
Poèmes divers

Fleurs d'aurore

Comme au printemps de l'autre année, Au mois des fleurs, après les froids, Par quelque belle matinée, Nous irons encore sous-bois. Nous y verrons les mêmes choses, Le même glorieux réveil, Et les mêmes métamorphoses De tout ce qui vit au soleil. Nous y verrons les grands squelettes Des arbres gris, ressusciter, Et les yeux clos des violettes À la lumière palpiter. Sous le clair feuillage vert tendre, Les tourterelles des buissons, Ce jour-là, nous feront entendre Leurs lentes et molles chansons. Ensemble nous irons encore Cueillir dans les prés, au matin, De ces bouquets couleur d'aurore Qui fleurent la rose et le thym. Nous y boirons l'odeur subtile, Les capiteux aromes blonds Que, dans l'air tiède et pur, distille La flore chaude des vallons. Radieux, secouant le givre Et les frimas de l'an dernier, Nos chers espoirs pourront revivre Au bon vieux soleil printanier. En attendant que tout renaisse, Que tout aime et revive un jour, Laisse nos rêves, ô jeunesse, S'envoler vers tes bois d'amour ! Chère idylle, tes primevères Éclosent en toute saison ; Elles narguent les froids sévères Et percent la neige à foison. Éternel renouveau, tes sèves Montent même aux coeurs refroidis, Et tes capiteuses fleurs brèves Nous grisent comme au temps jadis. Oh ! oui, nous cueillerons encore, Aussi frais qu'à l'autre matin, Ces beaux bouquets couleur d'aurore Qui fleurent la rose et le thym.

— Nérée Beauchemin (1850-1931)
Les floraisons matutinales

L'Adieu

J'ai cueilli ce brin de bruyère L'automne est morte souviens-t'en Nous ne nous verrons plus sur terre Odeur du temps brin de bruyère Et souviens-toi que je t'attends

— Guillaume Apollinaire (1880-1918)
Alcools

La bouture

Au temps où les plaines sont vertes, Où le ciel dore les chemins, Où la grâce des fleurs ouvertes Tente les lèvres et les mains, Au mois de mai, sur sa fenêtre, Un jeune homme avait un rosier ; Il y laissait les roses naître Sans les voir ni s'en soucier ; Et les femmes qui d'aventure Passaient près du bel arbrisseau, En se jouant, pour leur ceinture Pillaient les fleurs du jouvenceau. Sous leurs doigts, d'un précoce automne Mourait l'arbuste dévasté ; Il perdit toute sa couronne, Et la fenêtre sa gaîté ; Si bien qu'un jour, de porte en porte, Le jeune homme frappa, criant : « Qu'une de vous me la rapporte, La fleur qu'elle a prise en riant ! » Mais les portes demeuraient closes. Une à la fin pourtant s'ouvrit : « Ah ! Viens, dit en montrant des roses Une vierge qui lui sourit ; Je n'ai rien pris pour ma parure ; Mais sauvant le dernier rameau, Vois ! J'en ai fait cette bouture, Pour te le rendre un jour plus beau. »

— Sully Prudhomme (1839-1907)
Les solitudes

La pauvre fleur

La pauvre fleur disait au papillon céleste — Ne fuis pas ! Vois comme nos destins sont différents. Je reste, Tu t'en vas ! Pourtant nous nous aimons, nous vivons sans les hommes Et loin d'eux, Et nous nous ressemblons, et l'on dit que nous sommes Fleurs tous deux ! Mais, hélas ! l'air t'emporte et la terre m'enchaîne. Sort cruel ! Je voudrais embaumer ton vol de mon haleine Dans le ciel ! Mais non, tu vas trop loin ! — Parmi des fleurs sans nombre Vous fuyez, Et moi je reste seule à voir tourner mon ombre À mes pieds ! Tu fuis, puis tu reviens, puis tu t'en vas encore Luire ailleurs. Aussi me trouves-tu toujours à chaque aurore Toute en pleurs ! Oh ! pour que notre amour coule des jours fidèles, Ô mon roi, Prends comme moi racine, ou donne-moi des ailes Comme à toi !

— Victor Hugo (1802-1885)
Les chants du crépuscule

La pensée

Un soir, vaincu par le labeur Où s'obstine le front de l'homme, Je m'assoupis, et dans mon somme M'apparut un bouton de fleur. C'était cette fleur qu'on appelle Pensée ; elle voulait s'ouvrir, Et moi je m'en sentais mourir : Toute ma vie allait en elle. Echange invisible et muet : A mesure que ses pétales Forçaient les ténèbres natales, Ma force à moi diminuait. Et ses grands yeux de velours sombre Se dépliaient si lentement Qu'il me semblait que mon tourment Mesurât des siècles sans nombre. « Vite, ô fleur, l'espoir anxieux De te voir éclore m'épuise ; Que ton regard s'achève et luise Fixe et profond dans tes beaux yeux !» Mais, à l'heure où de sa paupière Se déroulait le dernier pli, Moi, je tombais enseveli Dans la nuit d'un sommeil de pierre.

— Sully Prudhomme (1839-1907)
Les solitudes

La petite fleur rose

Du haut de la montagne, Près de Guadarrama, On découvre l'Espagne Comme un panorama. A l'horizon sans borne Le grave Escurial Lève son dôme morne, Noir de l'ennui royal ; Et l'on voit dans l'estompe Du brouillard cotonneux, Si loin que l'oeil s'y trompe, Madrid, point lumineux ! La montagne est si haute, Que ses flancs de granit N'ont que l'aigle pour hôte, Pour maison que son nid ; Car l'hiver pâle assiège Les pics étincelants, Tout argentés de neige, Comme des vieillards blancs. J'aime leur crête pure, Même aux tièdes saisons D'une froide guipure Bordant les horizons ; Les nuages sublimes, Ainsi que d'un turban Chaperonnant leurs cimes De pluie et d'ouragan ; Le pin, dont les racines, Comme de fortes mains, Déchirent les ravines Sur le flanc des chemins, Et l'eau diamantée Qui, sous l'herbe courant, D'un caillou tourmentée, Chuchote un nom bien grand ! Mais, avant toute chose, J'aime, au coeur du rocher, La petite fleur rose, La fleur qu'il faut chercher !

— Théophile Gautier (1811-1872)
Espana

La tulipe

Moi, je suis la tulipe, une fleur de Hollande ; Et telle est ma beauté, que l’avare Flamand Paye un de mes oignons plus cher qu’un diamant, Si mes fonds sont bien purs, si je suis droite et grande. Mon air est féodal, et, comme une Yolande Dans sa jupe à longs plis étoffée amplement, Je porte des blasons peints sur mon vêtement, Gueules fascé d’argent, or avec pourpre en bande. Le jardinier divin a filé de ses doigts Les rayons du soleil et la pourpre des rois Pour me faire une robe à trame douce et fine. Nulle fleur du jardin n’égale ma splendeur, Mais la nature, hélas ! n’a pas versé d’odeur Dans mon calice fait comme un vase de Chine.

— Théophile Gautier (1811-1872)
Poésies nouvelles et inédites

Le bourgeon

Comme un diable au fond de sa boite, Le bourgeon s’est tenu caché. Mais dans sa prison trop étroite, Il baille et voudrait respirer. Il entend des chants, des bruits d’aile. Il a soif de grand jour et d’air. Il voudrait savoir les nouvelles Il fait craquer son corset vert. Puis d’un geste brusque, il déchire Son habit étroit et trop court. Enfin, se dit-il, je respire, Je vis, je suis libre. Bonjour !

— Paul Géraldy (1885-1983)
Recueil non renseigné

Le muguet

Cloches naïves du muguet, Carillonnez ! car voici Mai ! Sous une averse de lumière, Les arbres chantent au verger, Et les graines du potager Sortent en riant de la terre. Carillonnez ! car voici Mai ! Cloches naïves du muguet ! Les yeux brillants, l'âme légère, Les fillettes s'en vont au bois Rejoindre les fées qui, déjà, Dansent en rond sur la bruyère. Carillonnez ! car voici Mai ! Cloches naïves du muguet !

— Maurice Carême (1899-1978)
La lanterne magique

Les fleurs

Des avalanches d'or du vieil azur, au jour Premier et de la neige éternelle des astres Jadis tu détachas les grands calices pour La terre jeune encore et vierge de désastres, Le glaïeul fauve, avec les cygnes au col fin, Et ce divin laurier des âmes exilées Vermeil comme le pur orteil du séraphin Que rougit la pudeur des aurores foulées, L'hyacinthe, le myrte à l'adorable éclair Et, pareille à la chair de la femme, la rose Cruelle, Hérodiade en fleur du jardin clair, Celle qu'un sang farouche et radieux arrose ! Et tu fis la blancheur sanglotante des lys Qui roulant sur des mers de soupirs qu'elle effleure À travers l'encens bleu des horizons pâlis Monte rêveusement vers la lune qui pleure ! Hosannah sur le cistre et dans les encensoirs, Notre dame, hosannah du jardin de nos limbes ! Et finisse l'écho par les célestes soirs, Extase des regards, scintillement des nimbes ! Ô Mère, qui créas en ton sein juste et fort, Calices balançant la future fiole, De grandes fleurs avec la balsamique Mort Pour le poète las que la vie étiole.

— Stéphane Mallarmé (1842-1898)
Poésies

Les fleurs

Oh ! de l'air ! des parfums ! des fleurs pour me nourrir ! Il semble que les fleurs alimentent ma vie ; Mais elles vont mourir.... Ah ! je leur porte envie : Mourir jeune, au soleil, Dieu ! que c'est bien mourir ! Pour éteindre une fleur il faut moins qu'un orage : Moi, je sais qu'une larme effeuille le bonheur. À la fleur qu'on va fuir qu'importé un long courage ? Heureuse, elle succombe à son premier malheur ! Roseaux moins fortunés, les vents, dans leur furie, Vous outragent longtemps sans briser votre sort ; Ainsi, roseau qui marche en sa gloire flétrie, L'homme achète longtemps le bienfait de la mort ! Et moi, je veux des fleurs pour appuyer ma vie ; A leurs frêles parfums j'ai de quoi me nourrir : Mais elles vont mourir... Ah ! je leur porte envie ; Mourir jeune, au soleil, Dieu ! que c'est bien mourir !

— Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859)
Les pleurs
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