Éternels Éclairs

Après l’hiver

N’attendez pas de moi que je vais vous donner Des raisons contre Dieu que je vois rayonner ; La nuit meurt, l’hiver fuit ; maintenant la lumière, Dans les champs, dans les bois, est partout la première. Je suis par le printemps vaguement attendri. Avril est un enfant, frêle, charmant, fleuri ; Je sens devant l’enfance et devant le zéphyre Je ne sais quel besoin de pleurer et de rire ; Mai complète ma joie et s’ajoute à mes pleurs. Jeanne, George, accourez, puisque voilà des fleurs. Accourez, la forêt chante, l’azur se dore, Vous n’avez pas le droit d’être absents de l’aurore. Je suis un vieux songeur et j’ai besoin de vous, Venez, je veux aimer, être juste, être doux, Croire, remercier confusément les choses, Vivre sans reprocher les épines aux roses, Être enfin un bonhomme acceptant le bon Dieu. Ô printemps ! bois sacrés ! ciel profondément bleu ! On sent un souffle d’air vivant qui vous pénètre, Et l’ouverture au loin d’une blanche fenêtre ; On mêle sa pensée au clair-obscur des eaux ; On a le doux bonheur d’être avec les oiseaux Et de voir, sous l’abri des branches printanières, Ces messieurs faire avec ces dames des manières.

— Victor Hugo (1802-1885)
Toute la lyre

Avril

Lorsqu’un homme n’a pas d’amour, Rien du printemps ne l’intéresse ; Il voit même sans allégresse, Hirondelles, votre retour ; Et, devant vos troupes légères Qui traversent le ciel du soir, Il songe que d’aucun espoir Vous n’êtes pour lui messagères. Chez moi ce spleen a trop duré, Et quand je voyais dans les nues Les hirondelles revenues, Chaque printemps, j’ai bien pleuré. Mais depuis que toute ma vie A subi ton charme subtil, Mignonne, aux promesses d’Avril Je m’abandonne et me confie. Depuis qu’un regard bien-aimé A fait refleurir tout mon être, Je vous attends à ma fenêtre, Chères voyageuses de Mai. Venez, venez vite, hirondelles, Repeupler l’azur calme et doux, Car mon désir qui va vers vous S’accuse de n’avoir pas d’ailes.

— François Coppée (1842-1908)
Les mois

Avril

Déjà les beaux jours, – la poussière, Un ciel d’azur et de lumière, Les murs enflammés, les longs soirs ; – Et rien de vert : – à peine encore Un reflet rougeâtre décore Les grands arbres aux rameaux noirs ! Ce beau temps me pèse et m’ennuie. – Ce n’est qu’après des jours de pluie Que doit surgir, en un tableau, Le printemps verdissant et rose, Comme une nymphe fraîche éclose Qui, souriante, sort de l’eau.

— Gérard de Nerval (1808-1855)
Odelettes

Fleurs d’aurore

Comme au printemps de l’autre année, Au mois des fleurs, après les froids, Par quelque belle matinée, Nous irons encore sous bois. Nous y verrons les mêmes choses, Le même glorieux réveil, Et les mêmes métamorphoses De tout ce qui vit au soleil. Nous y verrons les grands squelettes Des arbres gris, ressusciter, Et les yeux clos des violettes À la lumière palpiter. Sous le clair feuillage vert tendre, Les tourterelles des buissons, Ce jour-là, nous feront entendre Leurs lentes et molles chansons. Ensemble nous irons encore Cueillir dans les prés, au matin, De ces bouquets couleur d’aurore Qui fleurent la rose et le thym. Nous y boirons l’odeur subtile, Les capiteux aromes blonds Que, dans l’air tiède et pur, distille La flore chaude des vallons. Radieux, secouant le givre Et les frimas de l’an dernier, Nos chers espoirs pourront revivre Au bon vieux soleil printanier. En attendant que tout renaisse, Que tout aime et revive un jour, Laisse nos rêves, ô jeunesse, S’envoler vers tes bois d’amour ! Chère idylle, tes primevères Éclosent en toute saison ; Elles narguent les froids sévères Et percent la neige à foison. Éternel renouveau, tes sèves Montent même aux coeurs refroidis, Et tes capiteuses fleurs brèves Nous grisent comme au temps jadis. Oh ! oui, nous cueillerons encore, Aussi frais qu’à l’autre matin, Ces beaux bouquets couleur d’aurore Qui fleurent la rose et le thym.

— Nérée Beauchemin (1850-1931)
Les floraisons matutinales

Le moulin au printemps

Le chaume et la mousse Verdissent les toits ; La colombe y glousse, L'hirondelle y boit ; Le bras d'un platane Et le lierre épais Couvrent la cabane D'une ombre de paix. La rosée en pluie Brille à tout rameau ; Le rayon essuie La poussière d'eau ; Le vent qui secoue Les vergers flottants, Fait sur notre joue Neiger le printemps.

— Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Recueil non renseigné

Le printemps

Te voilà, rire du Printemps ! Les thyrses des lilas fleurissent. Les amantes qui te chérissent Délivrent leurs cheveux flottants. Sous les rayons d’or éclatants Les anciens lierres se flétrissent. Te voilà, rire du Printemps ! Les thyrses de lilas fleurissent. Couchons-nous au bord des étangs, Que nos maux amers se guérissent ! Mille espoirs fabuleux nourrissent Nos coeurs gonflés et palpitants. Te voilà, rire du Printemps !

— Théodore de Banville (1823-1891)
Les cariatides

Premier mai

Tout conjugue le verbe aimer. Voici les roses. Je ne suis pas en train de parler d’autres choses. Premier mai ! l’amour gai, triste, brûlant, jaloux, Fait soupirer les bois, les nids, les fleurs, les loups ; L’arbre où j’ai, l’autre automne, écrit une devise, La redit pour son compte et croit qu’il l’improvise ; Les vieux antres pensifs, dont rit le geai moqueur, Clignent leurs gros sourcils et font la bouche en coeur ; L’atmosphère, embaumée et tendre, semble pleine Des déclarations qu’au Printemps fait la plaine, Et que l’herbe amoureuse adresse au ciel charmant. A chaque pas du jour dans le bleu firmament, La campagne éperdue, et toujours plus éprise, Prodigue les senteurs, et dans la tiède brise Envoie au renouveau ses baisers odorants ; Tous ses bouquets, azurs, carmins, pourpres, safrans, Dont l’haleine s’envole en murmurant : Je t’aime ! Sur le ravin, l’étang, le pré, le sillon même, Font des taches partout de toutes les couleurs ; Et, donnant les parfums, elle a gardé les fleurs ; Comme si ses soupirs et ses tendres missives Au mois de mai, qui rit dans les branches lascives, Et tous les billets doux de son amour bavard, Avaient laissé leur trace aux pages du buvard ! Les oiseaux dans les bois, molles voix étouffées, Chantent des triolets et des rondeaux aux fées ; Tout semble confier à l’ombre un doux secret ; Tout aime, et tout l’avoue à voix basse ; on dirait Qu’au nord, au sud brûlant, au couchant, à l’aurore, La haie en fleur, le lierre et la source sonore, Les monts, les champs, les lacs et les chênes mouvants, Répètent un quatrain fait par les quatre vents.

— Victor Hugo (1802-1885)
Les contemplations

Premier sourire de printemps

Tandis qu’à leurs œuvres perverses Les hommes courent haletants, Mars qui rit, malgré les averses, Prépare en secret le printemps. Pour les petites pâquerettes, Sournoisement lorsque tout dort, II repasse des collerettes Et cisèle des boutons-d’or. Dans le verger et dans la vigne, II s’en va, furtif perruquier, Avec une houppe de cygne, Poudrer à frimas l’amandier. La nature au lit se repose ; Lui, descend au jardin désert Et lace les boutons de rose Dans leur corset de velours vert. Tout en composant des solfèges Qu’aux merles il siffle à mi-voix, II sème aux prés les perce-neige Et les violettes au bois. Sur le cresson de la fontaine Où le cerf boit, l’oreille au guet, De sa main cachée il égrène Les grelots d’argent du muguet. Sous l’herbe, pour que tu la cueilles, II met la fraise au teint vermeil, Et te tresse un chapeau de feuilles Pour te garantir du soleil. Puis, lorsque sa besogne est faite, Et que son règne va finir, Au seuil d’avril tournant la tête, II dit : « Printemps, tu peux venir ! »

— Théophile Gautier (1811-1872)
Emaux et camées

Printemps

Voici donc les longs jours, lumière, amour, délire ! Voici le printemps ! mars, avril au doux sourire, Mai fleuri, juin brûlant, tous les beaux mois amis ! Les peupliers, au bord des fleuves endormis, Se courbent mollement comme de grandes palmes ; L'oiseau palpite au fond des bois tièdes et calmes ; Il semble que tout rit, et que les arbres verts Sont joyeux d'être ensemble et se disent des vers. Le jour naît couronné d'une aube fraîche et tendre ; Le soir est plein d'amour ; la nuit, on croit entendre, A travers l'ombre immense et sous le ciel béni, Quelque chose d'heureux chanter dans l'infini.

— Victor Hugo (1802-1885)
Toute la lyre

À toute chose son temps, En cette période la neige fond Et elle repousse en gazon Quand dans nos cœurs fleurit la joie. Le printemps est la saison Où revivent les jours heureux, Où les garçons commencent à comprendre Ce que les filles ont su tout l’hiver.

1 Proverbe français
2-3 Manuel Dias de Abreu : Le printemps, c'est quand la neige fond et qu'elle repousse en gazon.
5-7-8 O. Henry : Le printemps est la saison où les garçons commencent à comprendre ce que les filles ont su tout l'hiver.
— Stéphen Moysan
A l'occasion du nouveau printemps

Printemps oublié

Ce beau printemps qui vient de naître À peine goûté va finir ; Nul de nous n'en fera connaître La grâce aux peuples à venir. Nous n'osons plus parler des roses : Quand nous les chantons, on en rit ; Car des plus adorables choses Le culte est si vieux qu'il périt. Les premiers amants de la terre Ont célébré Mai sans retour, Et les derniers doivent se taire, Plus nouveaux que leur propre amour. Rien de cette saison fragile Ne sera sauvé dans nos vers, Et les cytises de Virgile Ont embaumé tout l'univers. Ah ! frustrés par les anciens hommes, Nous sentons le regret jaloux Qu'ils aient été ce que nous sommes, Qu'ils aient eu nos cœurs avant nous.

— Sully Prudhomme (1839-1907)
Stances et poèmes
}