Éternels Éclairs

Chanson d'automne

Les sanglots longs Des violons De l’automne Blessent mon cœur D’une langueur Monotone. Tout suffocant Et blême, quand Sonne l’heure, Je me souviens Des jours anciens Et je pleure Et je m’en vais Au vent mauvais Qui m’emporte Deçà, delà, Pareil à la Feuille morte.

— Paul Verlaine (1844-1896)
Poèmes saturniens

Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie

Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle, Assise auprès du feu, dévidant et filant, Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant : « Ronsard me célébrait du temps que j’étais belle ! » Lors, vous n’aurez servante oyant telle nouvelle, Déjà sous le labeur à demi sommeillant, Qui au bruit de Ronsard ne s’aille réveillant, Bénissant votre nom de louange immortelle. Je serais sous la terre, et, fantôme sans os, Par les ombres myrteux je prendrai mon repos ; Vous serez au foyer une vieille accroupie, Regrettant mon amour et votre fier dédain. Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain : Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie.

— Pierre de Ronsard (1524-1585)
Sonnets pour Hélène

Demain, dès l'aube

Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne, Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends. J'irai par la forêt, j'irai par la montagne. Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps. Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées, Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit, Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées, Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit. Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe, Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur, Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

— Victor Hugo (1802-1885)
Les Contemplations

Il n'y a pas d'amour heureux

Rien n'est jamais acquis à l'homme Ni sa force Ni sa faiblesse ni son coeur Et quand il croit Ouvrir ses bras son ombre est celle d'une croix Et quand il croit serrer son bonheur il le broie Sa vie est un étrange et douloureux divorce Il n'y a pas d'amour heureux Sa vie Elle ressemble à ces soldats sans armes Qu'on avait habillés pour un autre destin À quoi peut leur servir de se lever matin Eux qu'on retrouve au soir désoeuvrés incertains Dites ces mots Ma vie Et retenez vos larmes Il n'y a pas d'amour heureux Mon bel amour mon cher amour ma déchirure Je te porte dans moi comme un oiseau blessé Et ceux-là sans savoir nous regardent passer Répétant après moi les mots que j'ai tressés Et qui pour tes grands yeux tout aussitôt moururent Il n'y a pas d'amour heureux Le temps d'apprendre à vivre il est déjà trop tard Que pleurent dans la nuit nos coeurs à l'unisson Ce qu'il faut de malheur pour la moindre chanson Ce qu'il faut de regrets pour payer un frisson Ce qu'il faut de sanglots pour un air de guitare Il n'y a pas d'amour heureux Il n'y a pas d'amour qui ne soit à douleur Il n'y a pas d'amour dont on ne soit meurtri Il n'y a pas d'amour dont on ne soit flétri Et pas plus que de toi l'amour de la patrie Il n'y a pas d'amour qui ne vive de pleurs Il n'y a pas d'amour heureux Mais c'est notre amour à tous les deux

— Louis Aragon (1897-1982)
La Diane Française

L’Invitation au Voyage

Mon enfant, ma sœur, Songe à la douceur D’aller là-bas vivre ensemble ! Aimer à loisir, Aimer et mourir Au pays qui te ressemble ! Les soleils mouillés De ces ciels brouillés Pour mon esprit ont les charmes Si mystérieux De tes traîtres yeux, Brillant à travers leurs larmes. Là, tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et volupté. Des meubles luisants, Polis par les ans, Décoreraient notre chambre ; Les plus rares fleurs Mêlant leurs odeurs Aux vagues senteurs de l’ambre, Les riches plafonds, Les miroirs profonds, La splendeur orientale, Tout y parlerait À l’âme en secret Sa douce langue natale. Là, tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et volupté. Vois sur ces canaux Dormir ces vaisseaux Dont l’humeur est vagabonde ; C’est pour assouvir Ton moindre désir Qu’ils viennent du bout du monde. – Les soleils couchants Revêtent les champs, Les canaux, la ville entière, D’hyacinthe et d’or ; Le monde s’endort Dans une chaude lumière. Là, tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et volupté.

— Charles Baudelaire (1821-1867)
Les Fleurs du mal

Le cancre

Il dit non avec la tête Mais il dit oui avec le coeur Il dit oui à ce qu’il aime Il dit non au professeur Il est debout On le questionne Et tous les problèmes sont posés Soudain le fou rire le prend Et il efface tout Les chiffres et les mots Les dates et les noms Les phrases et les pièges Et malgré les menaces du maître Sous les huées des enfants prodiges Avec des craies de toutes les couleurs Sur le tableau noir du malheur Il dessine le visage du bonheur.

— Jacques Prévert (1900-1977)
Paroles

Le Dormeur du val

C'est un trou de verdure où chante une rivière Accrochant follement aux herbes des haillons D'argent ; où le soleil, de la montagne fière, Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons. Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue, Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu, Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue, Pâle dans son lit vert où la lumière pleut. Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme Sourirait un enfant malade, il fait un somme : Nature, berce-le chaudement : il a froid. Les parfums ne font pas frissonner sa narine ; Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

— Arthur Rimbaud (1854-1891)
Cahier de Douai

Le Pont Mirabeau

Sous le pont Mirabeau coule la Seine Et nos amours Faut-il qu'il m'en souvienne La joie venait toujours après la peine Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure Les mains dans les mains restons face à face Tandis que sous Le pont de nos bras passe Des éternels regards l'onde si lasse Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure L'amour s'en va comme cette eau courante L'amour s'en va Comme la vie est lente Et comme l'Espérance est violente Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure Passent les jours et passent les semaines Ni temps passé Ni les amours reviennent Sous le pont Mirabeau coule la Seine Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure

— Guillaume Apollinaire (1880-1918)
Alcool

Liberté

Sur mes cahiers d’écolier Sur mon pupitre et les arbres Sur le sable sur la neige J’écris ton nom Sur toutes les pages lues Sur toutes les pages blanches Pierre sang papier ou cendre J’écris ton nom Sur les images dorées Sur les armes des guerriers Sur la couronne des rois J’écris ton nom Sur la jungle et le désert Sur les nids sur les genêts Sur l’écho de mon enfance J’écris ton nom Sur les merveilles des nuits Sur le pain blanc des journées Sur les saisons fiancées J’écris ton nom Sur tous mes chiffons d’azur Sur l’étang soleil moisi Sur le lac lune vivante J’écris ton nom Sur les champs sur l’horizon Sur les ailes des oiseaux Et sur le moulin des ombres J’écris ton nom Sur chaque bouffée d’aurore Sur la mer sur les bateaux Sur la montagne démente J’écris ton nom Sur la mousse des nuages Sur les sueurs de l’orage Sur la pluie épaisse et fade J’écris ton nom Sur les formes scintillantes Sur les cloches des couleurs Sur la vérité physique J’écris ton nom Sur les sentiers éveillés Sur les routes déployées Sur les places qui débordent J’écris ton nom Sur la lampe qui s’allume Sur la lampe qui s’éteint Sur mes maisons réunies J’écris ton nom Sur le fruit coupé en deux Du miroir et de ma chambre Sur mon lit coquille vide J’écris ton nom Sur mon chien gourmand et tendre Sur ses oreilles dressées Sur sa patte maladroite J’écris ton nom Sur le tremplin de ma porte Sur les objets familiers Sur le flot du feu béni J’écris ton nom Sur toute chair accordée Sur le front de mes amis Sur chaque main qui se tend J’écris ton nom Sur la vitre des surprises Sur les lèvres attentives Bien au-dessus du silence J’écris ton nom Sur mes refuges détruits Sur mes phares écroulés Sur les murs de mon ennui J’écris ton nom Sur l’absence sans désir Sur la solitude nue Sur les marches de la mort J’écris ton nom Sur la santé revenue Sur le risque disparu Sur l’espoir sans souvenir J’écris ton nom Et par le pouvoir d’un mot Je recommence ma vie Je suis né pour te connaître Pour te nommer Liberté.

— Paul Eluard (1895-1952)
Poésie et Vérité

Tristesse

J’ai perdu ma force et ma vie, Et mes amis et ma gaieté; J’ai perdu jusqu’à la fierté Qui faisait croire à mon génie. Quand j’ai connu la Vérité, J’ai cru que c’était une amie ; Quand je l’ai comprise et sentie, J’en étais déjà dégoûté. Et pourtant elle est éternelle, Et ceux qui se sont passés d’elle Ici-bas ont tout ignoré. Dieu parle, il faut qu’on lui réponde. Le seul bien qui me reste au monde Est d’avoir quelquefois pleuré.

— Alfred de Musset (1810-1857)
Poésies nouvelles
}