Éternels Éclairs

Florilège de Poèmes
d'Esther Granek (1927-2016)



Par Stéphen Moysan

Attention des droits d'auteurs, que nous ne possèdons pas, protègent la majorité des oeuvres ici présentes.

Abri

Dans les lignes de ta main Pour me plaire j’y veux voir Que rien ne nous sépare Et qu’avons même destin. Dans les lignes de ta main Je découvre en cherchant Les signes bienfaisants De ce qui me convient. Dans le creux de ta paume Où ma main se blottit Je retrouve mon abri Doux et calme. Comme un baume.

— Esther Granek (1927-2016)
Ballades et réflexions à ma façon

Absences

Tout proche de l’interlocuteur et pourtant loin, l’esprit ailleurs, comme en un voyage m’évadant, je suis là, présent et absent, hochant la tête de temps en temps. Tout proche de l’interlocuteur et pourtant loin, l’esprit ailleurs, combien de fois ai-je trahi quand je semblais, yeux et ouïe, attentif à mon vis-à-vis ?

— Esther Granek (1927-2016)
Ballades et réflexions à ma façon

Contradictions

Ils cohabitent en moi. Se battent sans qu’on le voie : Le passé le présent Le futur et maintenant L’illusion et le vrai Le maussade et le gai La bêtise la raison Et les oui et les non L’amour de ma personne Les dégoûts qu’elle me donne Les façades qu’on se fait Et ce qui derrière est Et les peurs qu’on avale Les courages qu’on étale Les envies de dire zut Et les besoins de lutte Et l’humain et la bête Et le ventre et la tête Les sens et la vertu Le caché et le nu L’aimable et le sévère Le prude et le vulgaire Le parleur le taiseux Le brave et le peureux Et le fier et le veule… Pour tout ça je suis seul.

— Esther Granek (1927-2016)
Ballades et réflexions à ma façon

Désarroi

De gaieté en gaieté J’ai contrefait ma joie De tristesse en tristesse J’ai camouflé ma peine De saison en saison J’ai galvaudé le temps De raison en raison J’ai nié l’évident De silence en silence J’ai parlé sans rien dire De méfiance en méfiance J’ai douté sans finir De rancoeur en rancoeur J’ai brisé l’essentiel De pensée en pensée J’ai flétri sans appel De reproche en reproche J’ai pétrifié les jours Et puis de proche en proche J’ai détruit tout amour… De pleurs en espérances J’ai conjuré le sort De regrets en souffrances J’ai torturé mon corps Las… De nuage en nuage J’ai construit ma maison Et d’un seul coup d’orage…

— Esther Granek (1927-2016)
Je cours après mon ombre

Évasion

Et je serai face à la mer qui viendra baigner les galets. Caresses d’eau, de vent et d’air. Et de lumière. D’immensité. Et en moi sera le désert. N’y entrera que ciel léger. Et je serai face à la mer qui viendra battre les rochers. Giflant. Cinglant. Usant la pierre. Frappant. S’infiltrant. Déchaînée. Et en moi sera le désert. N’y entrera ciel tourmenté. Et je serai face à la mer, statue de chair et coeur de bois. Et me ferai désert en moi. Qu’importera l’heure. Sombre ou claire …

— Esther Granek (1927-2016)
De la pensée aux mots

Le jeu

Seize sont blancs. Seize sont noirs. Alignement d’un face-à-face. Selon son rang, chacun se place. En symétrie, de part en part. Les plus petits sur le devant. Seize sont noirs. Seize sont blancs. Huit fois huit cases. Un jeu démarre. Joutes, et coups bas, et corps à corps, et durs combats. Ultime effort pour asséner à ceux d’en face : “Échec et mat ! le roi est mort !” Complimenté est le gagnant. Mais la revanche est dans le sang. Déjà tout se remet en place. Et du combat ne reste trace. Tout aussitôt le jeu reprend. Seize sont noirs. Seize sont blancs… N’ayant soixante-quatre cases ni trente-deux participants, mais autres nombres et autres temps, la vie, pourtant, a mêmes bases.

— Esther Granek (1927-2016)
Synthèses

Saisir l’instant

Saisir l’instant tel une fleur Qu’on insère entre deux feuillets Et rien n’existe avant après Dans la suite infinie des heures. Saisir l’instant. Saisir l’instant. S’y réfugier. Et s’en repaître. En rêver. À cette épave s’accrocher. Le mettre à l’éternel présent. Saisir l’instant. Saisir l’instant. Construire un monde. Se répéter que lui seul compte Et que le reste est complément. S’en nourrir inlassablement. Saisir l’instant. Saisir l’instant tel un bouquet Et de sa fraîcheur s’imprégner. Et de ses couleurs se gaver. Ah ! combien riche alors j’étais ! Saisir l’instant. Saisir l’instant à peine né Et le bercer comme un enfant. A quel moment ai-je cessé ? Pourquoi ne puis-je… ? Saisir l’instant.

— Esther Granek (1927-2016)
Je cours après mon ombre

Toi

Toi c’est un mot Toi c’est une voix Toi c’est tes yeux et c’est ma joie Toi c’est si beau Toi c’est pour moi Toi c’est bien là et je n’y crois Toi c’est soleil Toi c’est printemps Toi c’est merveille de chaque instant Toi c’est présent Toi c’est bonheur Toi c’est arc-en-ciel dans mon coeur Toi c’est distant… Toi c’est changeant… Toi c’est rêvant et esquivant… Toi c’est pensant… Toi c’est taisant… Toi c’est tristesse qui me prend… Toi c’est fini. Fini ? Pourquoi ? Toi c’est le vide dans mes bras… Toi c’est mon soleil qui s’en va… Et moi, je reste, pleurant tout bas.

— Esther Granek (1927-2016)
Ballades et réflexions à ma façon

Une histoire

Et c’est au fil de nos sourires que se noua le premier fil. Et c’est au fil de nos désirs qu’il se multiplia par mille. Était-ce au fil de mes espoirs qu’en araignée tu fis ta toile ? Car c’est au fil de tes départs qu’au piège je fus l’animal… alors qu’au fil de ton plaisir se brisera… le dernier fil.

— Esther Granek (1927-2016)
Je cours après mon ombre

Vacances

Tiède est le vent Chaud est le temps Fraîche est ta peau Doux, le moment Blanc est le pain Bleu est le ciel Rouge est le vin D’or est le miel Odeurs de mer Embruns, senteurs Parfums de terre D’algues, de fleurs Gai est ton rire Plaisant ton teint Bons, les chemins Pour nous conduire Lumière sans voile Jours à chanter Millions d’étoiles Nuits à danser Légers, nos dires Claires, nos voix Lourd, le désir Pesants, nos bras Tiède est le vent Chaud est le temps Fraîche est ta peau Doux le moment Doux le moment… Doux le moment…

— Esther Granek (1927-2016)
Ballades et réflexions à ma façon
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