Éternels Éclairs

Florilège de Poèmes
de Nérée Beauchemin (1850-1931)



À celle que j’aime

Dans ta mémoire immortelle,
Comme dans le reposoir
D'une divine chapelle,
Pour celui qui t'est fidèle,
Garde l'amour et l'espoir.

Garde l'amour qui m'enivre,
L'amour qui nous fait rêver ;
Garde l'espoir qui fait vivre ;
Garde la foi qui délivre,
La foi qui doit nous sauver.

L'espoir, c'est de la lumière,
L'amour, c'est une liqueur,
Et la foi, c'est la prière.
Mets ces trésors, ma très chère,
Au plus profond de ton coeur.

— Nérée Beauchemin,
Les floraisons matutinales

Claire fontaine

Claire fontaine où rossignole
Un rossignol jamais lassé,
N’es-tu pas le charmant symbole
D’un cher passé ?

Source de fraîche mélodie,
Qui fait fleurir, sous nos frimas,
Ce rosier blanc de Normandie,
Qui ne meurt pas !

À ce bouton de rose blanche,
L’hiver ne fut jamais fatal,
Non plus qu’au chêne qui se penche
Sur ton cristal.

Oh ! c’est une peine immortelle
Qui s’épanche, en larmes d’amour,
Dans la naïve ritournelle
De l’ancien jour.

C’est un reflet des ciels de France,
Ô fontaine, que tu fais voir,
Dans la limpide transparence
De ton miroir.

— Nérée Beauchemin,
Patrie intime

Fleurs d'aurore

Comme au printemps de l'autre année,
Au mois des fleurs, après les froids,
Par quelque belle matinée,
Nous irons encore sous bois.

Nous y verrons les mêmes choses,
Le même glorieux réveil,
Et les mêmes métamorphoses
De tout ce qui vit au soleil.

Nous y verrons les grands squelettes
Des arbres gris, ressusciter,
Et les yeux clos des violettes
À la lumière palpiter.

Sous le clair feuillage vert tendre,
Les tourterelles des buissons,
Ce jour-là, nous feront entendre
Leurs lentes et molles chansons.

Ensemble nous irons encore
Cueillir dans les prés, au matin,
De ces bouquets couleur d'aurore
Qui fleurent la rose et le thym.

Nous y boirons l'odeur subtile,
Les capiteux aromes blonds
Que, dans l'air tiède et pur, distille
La flore chaude des vallons.

Radieux, secouant le givre
Et les frimas de l'an dernier,
Nos chers espoirs pourront revivre
Au bon vieux soleil printanier.

En attendant que tout renaisse,
Que tout aime et revive un jour,
Laisse nos rêves, ô jeunesse,
S'envoler vers tes bois d'amour !

Chère idylle, tes primevères
Éclosent en toute saison ;
Elles narguent les froids sévères
Et percent la neige à foison.

Éternel renouveau, tes sèves
Montent même aux coeurs refroidis,
Et tes capiteuses fleurs brèves
Nous grisent comme au temps jadis.

Oh ! oui, nous cueillerons encore,
Aussi frais qu'à l'autre matin,
Ces beaux bouquets couleur d'aurore
Qui fleurent la rose et le thym.

— Nérée Beauchemin,
Les floraisons matutinales

La maison solitaire

Seule, en un coin de terre où plane la tristesse
Et le mélancolique et vague ennui des soirs,
La vieille maison blanche, aux grands contrevents noirs,
Pleure-t-elle ses gens, son hôte, son hôtesse ?

Avec sa porte close et ses carreaux en deuil
Qui ne semblent, au loin, qu'un vaporeux décalque,
La maison blanche et noire a l'air d'un catafalque
Érigé sur le vide et la nuit d'un cercueil.

À la croix des pignons tachés d'ocre et de suie,
Comme un crêpe fané, la mousse vole au vent,
Et l'on dirait, parfois, qu'il tombe de l'auvent
Une neige de cendre et des larmes de pluie.

Trois générations ont peiné dans ce lieu :
Trois générations de laboureurs de terre
Ont vécu longuement le rêve solitaire,
Qui commence à l'autel et finit devant Dieu.

Tout semble mort... Soudain, la vitre qui brasille
S'ouvre, et, tel qu'au matin, brille un coquelicot,
Une face vermeille apparaît, et l'écho
Éparpille un fredon d'enfant qui s'égosille.

Rouge d'orgueil, le fier petit gars d'habitant,
Que le ber ancestral a couvé dans la paille,
Du jeu d'un gosier d'or, éblouit la marmaille
Et fait taire le merle et le coq éclatant.

Et la vieille maison, tant de fois attristée
Par le glas et l'adieu des funèbres convois,
Reprend jeunesse et vie au seul son de la voix
Qui conjure l'ennui, dont son âme est hantée.

Le vieil âge n'est plus. Voici le jeune temps :
L'aurore entre malgré la fenêtre morose ;
La chambre se plafonne et se meuble de rose ;
La maison recommence à vivre ses vingt ans.

Et le chef du travail, dehors à coeur d'année,
Bénit l'horizon clair et le soleil levant,
Le nuage et l'oiseau, la rosée et le vent,
Qui lui promettent tous une belle journée.

— Nérée Beauchemin,
Patrie intime

La mer

Loin des grands rochers noirs que baise la marée,
La mer calme, la mer au murmure endormeur,
Au large, tout là-bas, lente s’est retirée,
Et son sanglot d’amour dans l’air du soir se meurt.

La mer fauve, la mer vierge, la mer sauvage,
Au profond de son lit de nacre inviolé
Redescend, pour dormir, loin, bien loin du rivage,
Sous le seul regard pur du doux ciel étoilé.

La mer aime le ciel : c’est pour mieux lui redire,
À l’écart, en secret, son immense tourment,
Que la fauve amoureuse, au large se retire,
Dans son lit de corail, d’ambre et de diamant.

Et la brise n’apporte à la terre jalouse,
Qu’un souffle chuchoteur, vague, délicieux :
L’âme des océans frémit comme une épouse
Sous le chaste baiser des impassibles cieux.

— Nérée Beauchemin,
Les floraisons matutinales

Les corbeaux

Les noirs corbeaux au noir plumage,
Que chassa le vent automnal,
Revenus de leur long voyage,
Croassent dans le ciel vernal.

Les taillis, les buissons moroses
Attendent leurs joyeux oiseaux :
Mais, au lieu des gais virtuoses,
Arrivent premiers les corbeaux.

Pour charmer le bois qui s'ennuie,
Ces dilettantes sans rival,
Ce soir, par la neige et la pluie,
Donneront un grand festival.

Les rêveurs, dont l'extase est brève,
Attendent des vols d'oiseaux d'or ;
Mais, au lieu des oiseaux du rêve,
Arrive le sombre condor.

Mars pleure avant de nous sourire.
La grêle tombe en plein été.
L'homme, né pour les deuils, soupire
Et pleure avant d'avoir chanté.

— Nérée Beauchemin,
Les floraisons matutinales

Perce-neige

Radieuses apothéoses
Du soleil d'or et du ciel bleu,
Fraîche gloire des printemps roses,
Pourquoi donc durez-vous si peu ?

Pourquoi donc êtes-vous si brèves,
Aubes de l'enfance ? Beaux jours,
Si pleins d'aromes et de sèves,
Pourquoi donc êtes-vous si courts ?

Jeunesse, où sont-elles allées
Les hirondelles de jadis ?
Où sont les ailes envolées
De tes merveilleux paradis ?

Et vous, poétiques chimères,
Que dore un rayon d'idéal,
Blondes idylles éphémères,
N'auriez-vous qu'un seul floréal ?

Ô fleurs, vous n'êtes pas finies !
Les plus tristes de nos saisons
Auront encor des harmonies
Et des regains de floraisons.

La mortelle saison du givre
N'a pas tué toutes nos fleurs :
Nous pourrons encore revivre
Le passé, dans des jours meilleurs.

— Nérée Beauchemin,
Les floraisons matutinales
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