Éternels Éclairs

Fidèles hirondelles

Toi qui peux monter solitaire Au ciel, sans gravir les sommets, Et dans les vallons de la terre Descendre et planer dans l'air, Toi qui, sans te pencher au fleuve Où nous ne puisons qu'à genoux Peux aller boire, avant qu'il ne pleuve Au nuage trop haut pour nous ; Toi qui pars au déclin des roses Et reviens au nid printanier, Fidèle aux deux meilleures choses : L'indépendance et le foyer. Comme toi, mon âme s'élève Et tout à coup rase le sol Elle suit avec l'aile du rêve Les beaux méandres de ton vol. S'il lui faut aussi des voyages, Il lui faut son nid chaque jour, Elle a tes deux besoins sauvages : Vivre libre dans l'intense amour.

— Sully Prudhomme (1839-1907)
Stances : la vie intérieure

L’albatros

Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers, Qui suivent, indolents compagnons de voyage, Le navire glissant sur les gouffres amers. A peine les ont-ils déposés sur les planches, Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux, Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches Comme des avirons traîner à côté d’eux. Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule ! Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid ! L’un agace son bec avec un brûle-gueule, L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait ! Le Poète est semblable au prince des nuées Qui hante la tempête et se rit de l’archer ; Exilé sur le sol au milieu des huées, Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.

— Charles Baudelaire (1821-1867)
Les Fleurs du Mal

La Mort des oiseaux

Le soir, au coin du feu, j’ai pensé bien des fois, À la mort d’un oiseau, quelque part, dans les bois, Pendant les tristes jours de l’hiver monotone Les pauvres nids déserts, les nids qu’on abandonne, Se balancent au vent sur le ciel gris de fer. Oh ! comme les oiseaux doivent mourir l’hiver ! Pourtant lorsque viendra le temps des violettes, Nous ne trouverons pas leurs délicats squelettes Dans le gazon d’avril où nous irons courir. Est-ce que les oiseaux se cachent pour mourir ?

— François Coppée (1842-1908)
Promenades et Intérieurs

La nichée sous le portail

Oui, va prier à l'église, Va ; mais regarde en passant, Sous la vieille voûte grise, Ce petit nid innocent. Aux grands temples où l'on prie Le martinet, frais et pur, Suspend la maçonnerie Qui contient le plus d'azur. La couvée est dans la mousse Du portail qui s'attendrit; Elle sent la chaleur douce Des ailes de Jésus-Christ. L'église, où l'ombre flamboie, Vibre, émue à ce doux bruit; Les oiseaux sont pleins de joie, La pierre est pleine de nuit. Les saints, graves personnages, Sous les porches palpitants, Aiment ces doux voisinages Du baiser et du printemps. Les vierges et les prophètes, Se penchent dans l'âpre tour, Sur ces ruches d'oiseaux faites Pour le divin miel amour. L'oiseau se perche sur l'ange; L'apôtre rit sous l'arceau. « Bonjour, saint ! » dit la mésange. Le saint dit : « Bonjour, oiseau ! » Les cathédrales sont belles Et hautes sous le ciel bleu; Mais le nid des hirondelles Est l'édifice de Dieu.

— Victor Hugo (1802-1885)
Les Contemplations

Le cygne

Sans bruit, sous le miroir des lacs profonds et calmes, Le cygne chasse l’onde avec ses larges palmes, Et glisse. Le duvet de ses flancs est pareil A des neiges d’avril qui croulent au soleil ; Mais, ferme et d’un blanc mat, vibrant sous le zéphire, Sa grande aile l’entraîne ainsi qu’un lent navire. Il dresse son beau col au-dessus des roseaux, Le plonge, le promène allongé sur les eaux, Le courbe gracieux comme un profil d’acanthe, Et cache son bec noir dans sa gorge éclatante. Tantôt le long des pins, séjour d’ombre et de paix, Il serpente, et laissant les herbages épais Traîner derrière lui comme une chevelure, Il va d’une tardive et languissante allure ; La grotte où le poète écoute ce qu’il sent, Et la source qui pleure un éternel absent, Lui plaisent : il y rôde ; une feuille de saule En silence tombée effleure son épaule ; Tantôt il pousse au large, et, loin du bois obscur, Superbe, gouvernant du côté de l’azur, Il choisit, pour fêter sa blancheur qu’il admire, La place éblouissante où le soleil se mire. Puis, quand les bords de l’eau ne se distinguent plus, A l’heure où toute forme est un spectre confus, Où l’horizon brunit, rayé d’un long trait rouge, Alors que pas un jonc, pas un glaïeul ne bouge, Que les rainettes font dans l’air serein leur bruit Et que la luciole au clair de lune luit, L’oiseau, dans le lac sombre, où sous lui se reflète La splendeur d’une nuit lactée et violette, Comme un vase d’argent parmi des diamants, Dort, la tête sous l’aile, entre deux firmaments.

— Sully Prudhomme (1839-1907)
Les solitudes

Le rossignol

Quant ta voix, céleste prélude Aux silences des belles nuits, Barde ailé de ma solitude Tu ne sais pas que je te suis ! Même si l'astre des nuits se penche Aux bords des monts pour t'écouter, Tu te caches de branche en branche, Comme si tu voulais l'imiter. Ah ! ta voix touchante ou sublime Est trop pure pour ce bas milieu Cette musique qui t'anime Est un instinct qui monte à Dieu, Tes gazouillements, ton murmure, Sont un mélange harmonieux Des plus doux bruits de la nature Du plus beau chant des cieux. Tu prends les sons que tu recueilles Dans les cris que répète l'écho, Dans les frémissements des feuilles, Dans les gazouillements des flots, Dans les feuilles où tremblent des larmes, Ces fraîches haleines des bois, O nature ! elles ont trop de charmes Pour n'avoir pas aussi ta voix. Dans les chuchotements et plaintes Qui sortent la nuit des rameaux, Dans les voix des vagues éteintes Sur le sable ou dans les roseaux ! Alors, cette voix mystérieuse Va charmer les oreilles des anges, Quand leurs soupirs dans la nuit pieuse Monte vers Dieu comme une louange Elle est la voix d'une nature Qui n'est qu'amour et pureté Un brûlant et divin murmure : L'hymne flottant des nuits d'été.

— Alphonse Lamartine (1790-1869)
Harmonies poétiques et religieuses

Leçon du maître

S’armer de patience Pour finir conquis Par la paix intérieure. Au chant des oiseaux S’entraîner au paradis À contempler des fleurs. Elle fait fi des soucis La sagesse de l’esprit D’être fou de bonheur.

— Stéphen Moysan
En route vers l'horizon

Les colombes

Sur le coteau, là-bas où sont les tombes, Un beau palmier, comme un panache vert, Dresse sa tête, où le soir les colombes Viennent nicher et se mettre à couvert. Mais le matin elles quittent les branches ; Comme un collier qui s'égrène, on les voit S'éparpiller dans l'air bleu, toutes blanches, Et se poser plus loin sur quelque toit. Mon âme est l'arbre où tous les soirs, comme elles, De blancs essaims de folles visions Tombent des cieux en palpitant des ailes, Pour s'envoler dès les premiers rayons.

— Théophile Gautier (1811-1872)
La comédie de la mort

Les hiboux

Sous les ifs noirs qui les abritent, Les hiboux se tiennent rangés, Ainsi que des dieux étrangers, Dardant leur oeil rouge. Ils méditent. Sans remuer ils se tiendront Jusqu'à l'heure mélancolique Où, poussant le soleil oblique, Les ténèbres s'établiront. Leur attitude au sage enseigne Qu'il faut en ce monde qu'il craigne Le tumulte et le mouvement, L'homme ivre d'une ombre qui passe Porte toujours le châtiment D'avoir voulu changer de place.

— Charles Baudelaire (1821-1867)
Les Fleurs du Mal

Les trois oiseaux

J'ai dit au ramier : « Pars ! et va quand même, Au-delà des champs d'avoine et de foin, Me chercher la fleur qui fera qu'on m'aime. Le ramier m'a dit : « C'est trop loin ! » Et j'ai dit à l'aigle : « Aide-moi, j'y compte, Et, si c'est le feu du ciel qu'il me faut, Pour l'aller ravir prends ton vol et monte. » Et l'aigle m'a dit : « C'est trop haut ! » Et j'ai dit enfin au vautour : « Dévore Ce cœur trop plein d'elle et prends-en ta part. Laisse ce qui peut être intact encore. » Le vautour m'a dit : « C'est trop tard ! »

— François Coppée (1842-1908)
L'exilée

Parabole

Parmi l’étang d’or sombre Et les nénuphars blancs, Un vol passant de hérons lents Laisse tomber des ombres. Elles s’ouvrent et se ferment sur l’eau Toutes grandes, comme des mantes ; Et le passage des oiseaux, là-haut, S’indéfinise, ailes ramantes. Un pêcheur grave et théorique Tend vers elles son filet clair, Ne voyant pas qu’elles battent dans l’air Les larges ailes chimériques, Ni que ce qu’il guette, le jour, la nuit, Pour le serrer en des mailles d’ennui, En bas, dans les vases, au fond d’un trou, Passe dans la lumière, insaisissable et fou.

— Emile Verhaeren (1855-1916)
Les bords de la route

Pour faire le portrait d'un oiseau

Pour faire le portrait d'un oiseau Peindre d'abord une cage avec une porte ouverte peindre ensuite quelque chose de joli quelque chose de simple quelque chose de beau quelque chose d'utile pour l'oiseau Placer ensuite la toile contre un arbre dans un jardin dans un bois ou dans une forêt Se cacher derrière l'arbre sans rien dire sans bouger... Parfois l'oiseau arrive vite mais il peut aussi bien mettre de longues années avant de se décider Ne pas se décourager attendre attendre s'il le faut pendant des années la vitesse ou la lenteur de l'arrivée de l'oiseau n'ayant aucun rapport avec la réussite du tableau Quand l'oiseau arrive s'il arrive observer le plus profond silence attendre que l'oiseau entre dans la cage et quand il est entré fermer doucement la porte avec le pinceau puis effacer un à un les barreaux en ayant soin de ne toucher aucune des plumes de l'oiseau Faire ensuite le portrait de l'arbre en choisissant la plus belle de ses branches pour l'oiseau peindre aussi le vert feuillage et la fraîcheur du vent la poussière du soleil et le bruit des bêtes de l'herbe dans la chaleur de l'été et puis attendre que l'oiseau se décide à chanter Si l'oiseau ne chante pas c'est mauvais signe signe que le tableau est mauvais mais s'il chante c'est bon signe signe que vous pouvez signer Alors vous arrachez tout doucement une des plumes de l'oiseau et vous écrivez votre nom dans un coin du tableau.

— Jacques Prévert (1900-1977)
Paroles

Rossignol

Comme un vol criard d'oiseaux en émoi, Tous mes souvenirs s'abattent sur moi, S'abattent parmi le feuillage jaune De mon coeur mirant son tronc plié d'aune Au tain violet de l'eau des Regrets Qui mélancoliquement coule auprès, S'abattent, et puis la rumeur mauvaise Qu'une brise moite en montant apaise, S'éteint par degrés dans l'arbre, si bien Qu'au bout d'un instant on n'entend plus rien, Plus rien que la voix célébrant l'Absente, Plus rien que la voix - ô si languissante ! - De l'oiseau que fut mon Premier Amour, Et qui chante encor comme au premier jour ; Et dans la splendeur triste d'une lune Se levant blafarde et solennelle, une Nuit mélancolique et lourde d'été, Pleine de silence et d'obscurité, Berce sur l'azur qu'un vent doux effleure L'arbre qui frissonne et l'oiseau qui pleure.

— Paul Verlaine (1844-1896)
Poèmes Saturniens
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