Effet de nuit
Voyager seul est triste, et j’ai passé la nuit
Dans une étrange hôtellerie.
À la plus vieille chambre un enfant m’a conduit,
De galerie en galerie.
Je me suis étendu sur un grand lit carré
Flanqué de lions héraldiques ;
Un rideau blanc tombait à longs plis, bigarré
Du reflet des vitraux gothiques.
J’étais là, recevant, muet et sans bouger,
Les philtres que la lune envoie,
Quand j’ouïs un murmure, un froissement léger,
Comme fait l’ongle sur la soie ;
Puis comme un battement de fléaux sourds et prompts
Dans des granges très éloignées ;
Puis on eût dit, plus près, le han des bûcherons
Tour à tour lançant leurs cognées ;
Puis un long roulement, un vaste branle-bas,
Pareil au bruit d’un char de tôle
Attelé d’un dragon toujours fumant et las,
Qui souffle à chaque effort d’épaule ;
Puis soudain serpenta dans l’infini du soir
Un sifflement lugubre, intense,
Comme le cri perçant d’une âme au désespoir
En fuite par le vide immense.
Or, c’était un convoi que j’entendais courir
À toute vapeur dans la plaine.
Il passa, laissant loin derrière lui mourir
Son fracas et sa rouge haleine.
Le passage du monstre un moment ébranla
Les carreaux étroits des fenêtres,
Fit geindre un clavecin poudreux qui dormait là
Et frémir des portraits d’ancêtres ;
Sur la tapisserie Actéon tressaillit,
Diane contracta les lèvres ;
Un plâtras détaché du haut du mur faillit
Briser l’horloge de vieux sèvres.
Ce fut tout. Le silence aux voûtes du plafond
Replia lentement son aile,
Et la nuit, arrachée à son rêve profond,
Se redrapa plus solennelle.
Mais mon coeur remué ne se put assoupir :
J’écoutais toujours dans l’espace
Cette course effrénée et ce strident soupir,
Image d’un siècle qui passe.
Les solitudes
Du même auteur
Les Poèmes de Sully Prudhomme de A à Z

- À Alfred de Musset
- À Auguste Brachet
- À Douarnenez en Bretagne
- À Joseph de Laborde
- À Kant
- À Madame A. G. de B.
- À Ronsard
- À Théophile Gautier
- À l’Océan
- À la Nuit
- À la petite Suzanne D
- À l’hirondelle
- À ma soeur
- À un Trappiste
- À un désespéré
- À une belle enfant
- Abdication
- Au Bal de l’Opéra
- Au bord de l’eau
- Au désir
- Au jour le jour
- Au prodigue
- Aux amis inconnus
- Aux conscrits
- Aux poètes futurs
- Aux tuileries

- L'alphabet
- L'amour maternelle
- L'automne
- L'étranger
- L’Abîme
- L’Ambition
- L’Âme
- L’Amérique
- L’Art
- L’Art sauveur
- L’Axe du monde
- L’Épée
- L’Escalier de l’Ara Coeli
- L’Habitude
- L’Idéal
- L’Imagination
- L’Inspiration
- L’Océan
- L’Ombre
- La Chanson de l’Air
- La Confession
- La Falaise
- La Femme
- La Folle
- La Forme
- La Grande Ourse
- La Joie
- La Lutte
- La Lutte
- La Malade
- La Mémoire
- La Néréide
- La Note
- La Parole
- La Patrie
- La Pescheria
- La Place Navone
- La Place Saint-Jean-de-Latran
- La Poésie
- La Pointe du Raz
- La Prière
- La Puberté
- La Roue
- La Terre et l’Enfant
- La Trace humaine
- La Vie de loin
- La Voie Appienne
- La beauté
- La bouture
- La chanson des métiers
- La colombe et le lis
- La coupe
- La grande allée
- La grande chartreuse
- La laide
- La lyre et les doigts
- La mer
- La pensée
- La reine du bal
- La valse
- La vertu
- La vieillesse
- La voie lactée
- La volupté
- L’agonie
- L’art et l’amour
- L’art trahi
- Le Colisée
- Le Doute
- Le Fer
- Le Galop
- Le Gué
- Le Joug
- Le Jour et la Nuit
- Le Lever du soleil
- Le Lion
- Le Long du quai
- Le Monde à nu
- Le Passé
- Le Rendez-vous
- Le Travail
- Le Vase brisé
- Le Vent
- Le conscrit
- Le cygne
- Le dernier adieu
- Le lit de Procuste
- Le meilleur moment des amours
- Le missel
- Le Monde des Âmes
- Le nom
- Le peuple s’amuse
- Le premier deuil
- Le réveil
- Le rire
- Le signe
- Le temps perdu
- Le vase et l’oiseau
- Le vers ne nous vient pas
- Le volubilis
- L’épousée
- Les Adieux
- Les Ailes
- Les Berceaux
- Les Blessures
- Les Chaînes
- Les Danaïdes
- Les Deux vertiges
- Les Dieux
- Les Fleurs
- Les Marbres
- Les Oiseaux
- Les Ouvriers
- Les Téméraires
- Les Transtévérines
- Les Vénus
- Les Voluptés
- Les Yeux
- Les amours terrestres
- Les caresses
- Les deux chutes
- Les fils
- Les infidèles
- Les serres et les bois
- Les stalactites
- Les vieilles maisons
- Les villages sont pleins
- Les voici
- L’étoile au coeur
- L’indifférence
- L’obstacle
- L’une d’elles