Prélude
De quel nom te nommer, heure trouble où nous sommes ?
Tous les fronts sont baignés de livides sueurs.
Dans les hauteurs du ciel et dans le cœur des hommes
Les ténèbres partout se mêlent aux lueurs.
Croyances, passions, désespoir, espérances,
Rien n'est dans le grand jour et rien n'est dans la nuit ;
Et le monde, sur qui flottent les apparences,
Est à demi couvert d'une ombre où tout reluit.
Le bruit que fait cette ombre assourdit la pensée.
Tout s'y mêle, depuis le chant de l'oiseleur
Jusqu'au frémissement de la feuille froissée
Qui cache un nid peut-être ou qui couve une fleur.
Tout s'y mêle ! les pas égarés hors des voies
Qui cherchent leur chemin dans les champs spacieux ;
Les roseaux verts froissant leurs luisantes courroies ;
Les angélus lointains dispersés dans les cieux ;
Le lierre tressaillant dans les fentes des voûtes ;
Le vent, funeste au loin au nocher qui périt ;
Les chars embarrassés dans les tournants des routes,
S'accrochant par l'essieu comme nous par l'esprit ;
La mendiante en pleurs qui marche exténuée ;
Celui qui dit Satan ou qui dit Jéhovah ;
La clameur des passants bientôt diminuée ;
La voix du cœur qui sent, le bruit du pied qui va ;
Les ondes que toi seul, ô Dieu, comptes et nommes ;
L'air qui fuit ; le caillou par le ruisseau lavé ;
Et tout ce que, chargés des vains projets des hommes
Le soc dit au sillon et la roue au pavé ;
Et la barque, où dans l'ombre on entend une lyre,
Qui passe, et loin du bord s'abandonne au courant ;
Et l'orgue des forêts qui sur les monts soupire ;
Et cette voix qui sort des villes en pleurant !
Et l'homme qui gémit à côté de la chose ;
Car dans ce siècle, en proie aux sourires moqueurs,
Toute conviction en peu d'instants dépose
Le doute, lie affreuse, au fond de tous les cœurs !
Et de ces bruits divers, redoutable ou propice,
Sort l'étrange chanson que chante sans flambeau
Cette époque ne travail, fossoyeur ou nourrice,
Qui prépare une crèche ou qui creuse un tombeau !
- L'orient ! l'orient ! qu'y voyez-vous poëtes ?
Tournez vers l'orient vos esprits et vos yeux ! –
" Hélas ! ont répondu leurs voix longtemps muettes,
Nous voyons bien là-bas un jour mystérieux !
" Un jour mystérieux dans le ciel taciturne,
Qui blanchit l'horizon derrière les coteaux,
Pareil au feu lointain d'une forge nocturne
Qu'on voit sans en entendre encore les marteaux !
" Mais nous ne savons pas si cette aube lointaine
Vous annonce le jour, le vrai soleil ardent ;
Car, survenus dans l'ombre à cette heure incertaine,
Ce qu'on croit l'orient peut-être est l'occident !
" C'est peut-être le soir qu'on prend pour une aurore !
Peut-être ce soleil vers qui l'homme est penché,
Ce soleil qu'on appelle à l'horizon qu'il dore,
Ce soleil qu'on espère est un soleil couché !"
Seigneur ! est-ce vraiment l'aube qu'on voit éclore ?
Oh ! l'anxiété croît de moment en moment.
N'y voit-on déjà plus ? n'y voit-on pas encore ?
Est-ce la fin, Seigneur, ou le commencement ?
Dans l'âme et sur la terre effrayant crépuscule !
Les yeux pour qui fut fait, dans un autre univers,
Ce soleil inconnu qui vient ou qui recule,
Sont-ils déjà fermés ou pas encore ouvert ?
Ce tumulte confus, où nos esprits s'arrêtent,
Peut-être c'est le bruit, fourmillant en tout lieu,
Des ailes qui partout pour le départ s'apprêtent.
Peut-être en ce moment la terre dit : adieu !
Ce tumulte confus qui frappe notre oreille,
Parfois pur comme un souffle et charmant comme un luth,
Peut-être c'est le bruit d'un éden qui s'éveille.
Peut-être en ce moment la terre dit : salut !
Là-bas l'arbre frissonne. Est-ce allégresse ou plainte ?
Là-bas chante un oiseau. Pleure-t-il ? a-t-il ri ?
Là-bas l'océan parle. Est-ce joie ? est-ce crainte ?
Là-bas l'homme murmure. Est-ce un chant? Est-ce un cri ?
À si peu de clarté nulle âme n'est sereine.
Triste, assis sur le banc qui s'appuie à son mur,
Le vieux prêtre se courbe, et, n'y voyant qu'à peine,
À ce jour ténébreux épelle un livre obscur.
Ô prêtre ! vainement tu rêves, tu travailles.
L'homme ne comprend plus ce que Dieu révéla.
Partout des sens douteux hérissent leurs broussailles ;
La menace est ici, mais la promesse est là !
Et qu'importe ! bien loin de ce qui doit nous suivre,
Le destin nous emporte, éveillés ou dormant.
Que ce soit pour mourir ou que ce soit pour vivre,
Notre siècle va voir un accomplissement !
Cet horizon, qu'emplit un bruit vague et sonore,
Doit-il pâlir bientôt ? doit-il bientôt rougir ?
Esprit de l'homme ! attends quelques instants encore.
Ou l'ombre va descendre, ou l'astre va surgir !
Vers l'orient douteux tourné comme les autres,
Recueillant tous les bruits formidables et doux,
Les murmures d'en haut qui répondent aux nôtres,
Le soupir de chacun et la rumeur de tous,
Le poëte, en ses chants où l'amertume abonde,
Reflétait, écho triste et calme cependant,
Tout ce que l'âme rêve et tout ce que le monde
Chante, bégaie ou dit dans l'ombre en attendant !
Les chants du crépuscule
Du même auteur
Les Poèmes de Victor Hugo de A à Z

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- À André Chénier
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- À Jules J.
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- Amour
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- Anacréon, poëte aux ondes érotiques
- Apparition
- Après l'hiver
- Attente
- Au bois
- Au bord de la mer
- Au fils d'un poëte
- Au peuple
- Au poète qui m'envoie une plume d'aigle
- Au point du jour
- Aucune aile ici-bas
- Autre chanson
- Autre guitare
- Aux Feuillantines
- Aux anges qui nous voient
- Aux arbres
- Aux champs
- Aux morts du 4 décembre
- Aux proscrits

- C'est à coups de canon
- C'est la nuit
- C'était la première soirée
- Cadaver
- Canaris
- Ce qu'on entend sur la montagne
- Ce que c’est que la mort
- Ce que dit la bouche d'ombre (I)
- Ce que dit la bouche d'ombre (II)
- Ce qui n'a pas encore de nom
- Ce qui se passait aux Feuillantines
- Ce siècle avait deux ans
- Ce siècle est grand et fort
- Cent mille hommes
- Cérigo
- Certes, elle n'était pas femme
- Ceux qui vivent
- Chanson, L'Âme en fleur
- Chanson, Proscrit regarde les roses
- Chanson d'autrefois
- Chanson de Gavroche
- Chanson de grand-père
- Chanson de pirates
- Chanson des oiseaux
- Chanson du bol de punch
- Chanson pour faire danser
- Chant sur le berceau
- Charles Vacquerie
- Chose vue un jour de printemps
- Choses du soir
- Clair de lune
- Claire
- Claire P.
- Commencement d'une illusion
- Conclusion
- Conseil
- Crépuscule
- Cri de guerre du mufti
- Croire, mais pas en nous

- D'après Albert Dürer
- Danger d'aller dans les bois
- Dans ce jardin antique
- Dans l'alcôve sombre
- Dans l'église de ***
- Dans l'ombre
- Dans la forêt
- Dans le jardin
- Dante écrit deux vers
- Date lilia
- Demain, dès l'aube
- Depuis quatre mille ans
- Depuis six mille ans la guerre
- Deux voix dans le ciel
- Dicté après juillet 1830
- Dicté en présence du glacier du Rhône
- Dieu fait les questions
- Dolor
- Dolorosae
- Du haut de la muraille de Paris

- Éclaircie
- Écoutez. Je suis Jean.
- Écrit après la visite d'un bagne
- Écrit au bas d'un crucifix
- Écrit en 1827
- Écrit en 1846 et en 1855
- Écrit sur la plinthe d'un bas-relief antique
- Écrit sur la première page d'un Pétrarque
- Écrit sur la vitre d'une fenêtre
- Écrit sur le tombeau
- Écrit sur un exemplaire de la "Divina Commedia"
- Églogue
- Elle avait pris ce pli
- Elle est gaie et pensive
- Elle était déchaussée
- Elle était pâle
- En écoutant chanter la princesse
- En écoutant les oiseaux
- En frappant à une porte
- En hiver la terre pleure
- En mai
- En marchant la nuit dans un bois
- En marchant le matin
- En sortant du collège
- Enthousiasme
- Envoi des feuilles d'automne
- Épitaphe
- Épitaphe de Jean Valjean
- Espoir en Dieu
- Est-il jour ?
- Et Jeanne à Mariette a dit
- Être aimé
- Exil
- Explication
- Extase

- J'ai cueilli cette fleur pour toi
- J'aime l'araignée
- J'aime un petit enfant
- Janvier est revenu
- Je la revois, après vingt ans
- Je lisais
- Je n'ai pas de palais épiscopal en ville
- Je ne me mets pas en peine
- Je ne veux condamner personne
- Je ne vois pas pourquoi
- Je payai le pêcheur
- Je prendrai par la main
- Je pressais ton bras qui tremble
- Je racontais un conte
- Je respire où tu palpites
- Je sais bien qu'il est d'usage
- Je suis enragé. J'aime
- Je suis fait d'ombre et de marbre
- Je suis naïf, toi cruelle
- Je t'aime, avec ton oeil candide
- Je travaille
- Jeanne chante ; elle se penche
- Jeanne dort
- Jeanne endormie
- Jeanne était au pain sec
- Jeanne fait son entrée
- Jeanne songeait
- Jeune fille
- Jeune fille, l'amour
- Joies du soir
- Jolies femmes
- Jour de fête
- Jour de fête aux environs de Paris

- L'aurore s'allume
- L'autre
- L'échafaud
- L'enfance
- L'enfant
- L'enfant, voyant l'aïeule
- L'expiation
- L'hirondelle au printemps
- L'ombre
- L'oubli
- L'univers, c'est un livre
- La Chouette
- La Figliola
- La Terre - Hymne
- La blanche Aminte
- La captive
- La chanson de Maglia
- La cicatrice
- La clarté du dehors
- La coccinelle
- La conscience
- La douleur du pacha
- La fête chez Thérèse
- La fiancée du timbalier
- La hache
- La méridienne du lion
- La nature
- La nature est pleine d'amour
- La nichée sous le portail
- La pauvre fleur
- La pente de la rêverie
- La plume de Satan
- La prisonnière passe
- La rose de l'infante
- La sieste
- La sortie
- La source
- La source tombait du rocher
- La statue
- La sultane favorite
- La tombe dit à la rose
- La vie aux champs
- La ville prise
- La vision de Dante
- Laetitia
- Laissez
- Lazzara
- Le Maître d'études
- Le Poëte
- Le Pont
- Le Progrès calme et fort
- Le Revenant
- Le cantique de Bethphagé
- Le champ du potier
- Le couchant flamboyait
- Le crapaud
- Le crucifix
- Le deuil
- Le doigt de la femme
- Le firmament
- Le grand homme vaincu peut perdre en un instant
- Le hibou
- Le manteau impérial
- Le matin
- Le mendiant
- Le poème éploré se lamente
- Le poète bat aux champs
- Le poète dans les révolutions
- Le poète s'en va dans les champs
- Le pot cassé
- Le ravin
- Le rouet d'Omphale
- Le sacre de la femme
- Le sacre de la femme - Ève
- Le satyre
- Le soleil était là
- Le soleil s'est couché
- Le trouble-fête
- Le vieillard
- Les Djinns
- Les Mages
- Les Malheureux
- Les autres
- Les autres en tout sens laissent aller leur vie
- Les enfants lisent
- Les enfants pauvres
- Les femmes sont sur la terre
- Les feuilles d'automne
- Les forts
- Les fusillés
- Les innocents
- Les martyres
- Les oiseaux
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- Les siècles sont au peuple
- Les tronçons du serpent
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- Lettre à une femme
- Liberté !
- Lise
- Lorsque l'enfant paraît
- Lorsque ma main frémit
- Lueur au couchant
- Lux

- Ô Charles, je te sens près de moi
- Ô Dieux ! si vous avez la France sous vos ailes
- Ô Rus
- Ô gouffre !
- Ô mes lettres d'amour
- Ô soldats de l'an deux !
- Ô souvenirs !
- Ô strophe du poëte
- Ô temps
- Oceano nox
- Oh ! dis !
- Oh ! je fus comme fou
- Oh ! je fus comme fou dans le premier moment
- Oh ! n'insultez jamais une femme qui tombe
- Oh ! par nos vils plaisirs
- Oh ! pour remplir de moi
- Oh ! quand je dors
- Oh ! qui que vous soyez
- On vit, on parle ...
- Où donc est la clarté ?
- Où donc est le bonheur ?
- Oui, je suis le rêveur

- Paris bloqué
- Paris incendié
- Paroles dans l'ombre
- Paroles sur la dune
- Passé
- Pasteurs et troupeaux
- Pendant que le marin
- Pepita
- Petit Paul
- Pleurs dans la nuit
- Ponto
- Pour l'erreur, éclairer, c'est apostasier
- Prélude
- Premier janvier
- Premier mai
- Prenez garde aux choses que vous dites
- Près d'Avranches
- Printemps
- Prologue
- Promenades dans les rochers (I)
- Promenades dans les rochers (II)
- Promenades dans les rochers (III)
- Promenades dans les rochers (IV)
- Puisqu'ici-bas toute âme
- Puisque j'ai mis ma lèvre
- Puisque le juste est dans l'abîme
- Puisque mai tout en fleurs
- Puisque nos heures sont remplies
- Pure innocence

- Saison des semailles
- Sara la baigneuse
- Satan dans la nuit - I
- Satan dans la nuit - II
- Satan pardonné
- Saturne
- Seule au pied de la tour
- Soir
- Soleils couchants
- Sonnez
- Sous les arbres
- Souvenir de la nuit du 4
- Spectacle rassurant
- Spes
- Stella
- Sur la falaise
- Sur le bal de l'Hôtel de Ville
- Sur une barricade
- Suzette et Suzon

- Toi ! sois bénie à jamais !
- Tous les hommes sont l'Homme
- Toute la vie d'un coeur - 1817
- Toute la vie d'un coeur - 1819
- Toute la vie d'un coeur - 1820
- Toute la vie d'un coeur - 1822
- Toute la vie d'un coeur - 1826
- Toute la vie d'un coeur - 1833
- Toute la vie d'un coeur - 1835
- Tristesse d'Olympio
- Trois ans après
- Tu me vois bon, charmant et doux
- Tu peux, comme il te plaît, me faire jeune ou vieux
- Tu rentreras comme Voltaire

- Ultima verba
- Un grand sabre
- Un groupe tout à l'heure
- Un hymne harmonieux
- Un jour au mont Atlas
- Un jour je vis le sang couler
- Un jour, le morne esprit
- Un soir que je regardais le ciel
- Un spectre m’attendait
- Une bombe aux Feuillantines
- Une femme m'a dit ceci
- Une nuit à Bruxelles
- Une nuit qu'on entendait la mer
- Une terre au flanc maigre
- Unité