À Canaris (2)
D'où vient que ma pensée encor revole à toi,
Grec illustre à qui nul ne songe, excepté moi ?
D'où vient que me voilà, seul et dans la nuit noire,
Grave et triste, essayant de redorer ta gloire ?
Tandis que là, dehors, cent rhéteurs furieux
Grimpent sur des tréteaux pour attirer les yeux,
D'où vient que c'est vers toi que mon esprit retourne,
Vers toi sur qui l'oubli s'enracine et séjourne ?
C'est que tu fus tranquille et grand sous les lauriers.
Nous autres qui chantons, nous aimons les guerriers,
Comme sans doute aussi vous aimez les poëtes.
Car ce que nous chantons vient de ce que vous faites !
Car le héros est fort et le poëte est saint !
Les poëtes profonds qu'aucun souffle n'éteint
Sont pareils au volcan de la Sicile blonde
Que tes regards sans doute ont vu fumer sur l'onde ;
Comme le haut Etna, flamboyant et fécond,
Ils ont la lave au cœur et l'épi sur le front !
Et puis, ce fut toujours un instinct de mon âme ;
Quand ce chaos mêlé de fumée et de flamme,
Quand ce grand tourbillon, par Dieu même conduit,
Qui nous emporte tous au jour ou dans la nuit,
A passé sur le front des héros et des sages,
Comme après la tempête on court sur les rivages,
Moi je vais ramasser ceux qu'il jette dehors,
Ceux qui sont oubliés comme ceux qui sont morts !
Va, ne regrette rien. Ta part est la meilleure.
Vieillir dans ce Paris qui querelle et qui pleure
Et qui chante ébloui par mille visions
Comme une courtisane aux folles passions ;
Rouler sur cet amas de têtes sans idées
Pleines chaque matin et chaque soir vidées ;
Croître, fruit ignoré, dans ces rameaux touffus ;
Etre admiré deux jours par tous ces yeux confus ;
Ecouter dans ce gouffre où tout ruisseau s'écoule
Le bruit que fait un nom en tombant sur la foule ;
Si des mœurs du passé quelque reste est debout
Se répandre à torrents, comme une onde qui bout,
Sur cette forteresse autrefois glorieuse
Par la brèche qu'y fait la presse furieuse ;
Contempler jour et nuit ces flots et leur rumeur,
Et s'y mêler soi-même, inutile rameur ;
Voir de près, haletants sous la main qui les pique,
Les ministres traîner la machine publique,
Charrue embarrassée en des sillons bourbeux
Dont nous sommes le soc et dont ils sont les bœufs ;
Tirer sur le théâtre, en de funèbres drames,
Du choc des passions l'étincelle des âmes,
Et comme avec la main tordre et presser les cœurs
Pour en faire sortir goutte à goutte les pleurs ;
Emplir de son fracas la tribune aux harangues,
Babel où de nouveau se confondent les langues,
Harceler les pouvoirs ; jeter sur ce qu'ils font
L'écume d'un discours au flot sombre et profond ;
Être un gond de la porte, une clef de la voûte ;
S'i l'on est grand et fort, chaque jour dans sa route
Ecraser des serpents tout gonflés de venins ;
Etre arbuste dans l'herbe et géant chez les nains ;
Tout cela ne vaut pas, ô noble enfant de l'onde,
Le bonheur de flotter sur cette mer féconde
Qui vit partir Argo, qui vit naître Colomb,
D'y jeter par endroits la sonde aux pieds de plomb,
Et de voir, à travers la vapeur du cigare,
Décroître à l'horizon Mantinée ou Mégare !
Que si tu nous voyais, ô fils de l'Archipel,
Quand la presse a battu l'unanime rappel,
Créneler à la hâte un droit qu'on veut détruire,
Ou, foule dévouée à qui veut nous conduire,
Contre un pouvoir pygmée agitant son beffroi,
Nous ruer pêle-mêle à l'assaut d'une loi,
Sur ces combats d'enfants, sur ces frêles trophées,
Oh ! que tu jetterais le dédain par bouffées,
Toi qui brises tes fers rien qu'en les secouant,
Toi dont le bras, la nuit, envoie en se jouant,
Avec leurs icoglans, leurs noirs, leurs femmes nues,
Les capitans-pachas s'éveiller dans les nues !
Va, que te fait l'oubli de ceux dont tu rirais
Si tu voyais leurs mains et leurs âmes de près ?
Que t'importe ces cœurs faits de cire ou de pierre,
Ces mémoires en qui tout est cendre et poussière,
Ce traitant qui, du peuple infructueux fardeau,
N'est bon qu'à s'emplir d'or comme l'éponge d'eau,
Ce marchand accoudé sur son comptoir avide,
Et ce jeune énervé, face imbécile et vide,
Eunuque par le cœur, qui n'admire à Paris
Que les femmes de race et les chevaux de prix ?
Que t'importe l'oubli de l'Europe, où tout roule,
L'homme et l'évènement, sous les pieds de la foule ?
De Paris qui s'éveille et s'endort tour à tour,
Et fait un mauvais rêve en attendant le jour ?
De Londres où l'hôpital ne vaut pas l'hippodrome ?
De Rome qui n'est plus que l'écaille de Rome ?
Et de ceux qui sont rois ou tribuns, et de ceux
Qui tiennent ton Hellé sous leur joug paresseux,
Vandales vernissés, blonds et pâles barbares,
Qui viennent au pays des rudes palikares,
Tout restaurer, mœurs, peuple et monuments, hélas !
Civiliser la Grèce et gratter Phidias !
Et puis, qui sait – candeur que j'admire et que j'aime !
Si tu n'as pas fini par t'oublier toi-même !
Que t'importe ! Tandis que, debout sur le port,
Tu vends à quelque anglais un passage à ton bord ;
Ou que tu fais rouler et ranger sur la grève
Des ballots que longtemps le marchand vit en rêve ;
Ou que ton joyeux rire accueille tes égaux,
Tes amis, les patrons de Corinthe et d'Argos ;
Peut-être en ce moment quelque femme de Grèce,
Dont un bandeau païen serre la noire tresse,
Mère féconde, ou fille avec de vieux parents,
Tourne sur toi ses yeux fixes et transparents,
Se souvient de Psara, de Chio, de Nauplie,
Et de toute la mer de Canaris remplie,
Et, t'admirant de loin comme on admire un roi,
Sans oser te parler, passe en priant pour toi !
Les chants du crépuscule
Du même auteur
Les Poèmes de Victor Hugo de A à Z

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- C'est à coups de canon
- C'est la nuit
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- Canaris
- Ce qu'on entend sur la montagne
- Ce que c’est que la mort
- Ce que dit la bouche d'ombre (I)
- Ce que dit la bouche d'ombre (II)
- Ce qui n'a pas encore de nom
- Ce qui se passait aux Feuillantines
- Ce siècle avait deux ans
- Ce siècle est grand et fort
- Cent mille hommes
- Cérigo
- Certes, elle n'était pas femme
- Ceux qui vivent
- Chanson, L'Âme en fleur
- Chanson, Proscrit regarde les roses
- Chanson d'autrefois
- Chanson de Gavroche
- Chanson de grand-père
- Chanson de pirates
- Chanson des oiseaux
- Chanson du bol de punch
- Chanson pour faire danser
- Chant sur le berceau
- Charles Vacquerie
- Chose vue un jour de printemps
- Choses du soir
- Clair de lune
- Claire
- Claire P.
- Commencement d'une illusion
- Conclusion
- Conseil
- Crépuscule
- Cri de guerre du mufti
- Croire, mais pas en nous

- D'après Albert Dürer
- Danger d'aller dans les bois
- Dans ce jardin antique
- Dans l'alcôve sombre
- Dans l'église de ***
- Dans l'ombre
- Dans la forêt
- Dans le jardin
- Dante écrit deux vers
- Date lilia
- Demain, dès l'aube
- Depuis quatre mille ans
- Depuis six mille ans la guerre
- Deux voix dans le ciel
- Dicté après juillet 1830
- Dicté en présence du glacier du Rhône
- Dieu fait les questions
- Dolor
- Dolorosae
- Du haut de la muraille de Paris

- Éclaircie
- Écoutez. Je suis Jean.
- Écrit après la visite d'un bagne
- Écrit au bas d'un crucifix
- Écrit en 1827
- Écrit en 1846 et en 1855
- Écrit sur la plinthe d'un bas-relief antique
- Écrit sur la première page d'un Pétrarque
- Écrit sur la vitre d'une fenêtre
- Écrit sur le tombeau
- Écrit sur un exemplaire de la "Divina Commedia"
- Églogue
- Elle avait pris ce pli
- Elle est gaie et pensive
- Elle était déchaussée
- Elle était pâle
- En écoutant chanter la princesse
- En écoutant les oiseaux
- En frappant à une porte
- En hiver la terre pleure
- En mai
- En marchant la nuit dans un bois
- En marchant le matin
- En sortant du collège
- Enthousiasme
- Envoi des feuilles d'automne
- Épitaphe
- Épitaphe de Jean Valjean
- Espoir en Dieu
- Est-il jour ?
- Et Jeanne à Mariette a dit
- Être aimé
- Exil
- Explication
- Extase

- J'ai cueilli cette fleur pour toi
- J'aime l'araignée
- J'aime un petit enfant
- Janvier est revenu
- Je la revois, après vingt ans
- Je lisais
- Je n'ai pas de palais épiscopal en ville
- Je ne me mets pas en peine
- Je ne veux condamner personne
- Je ne vois pas pourquoi
- Je payai le pêcheur
- Je prendrai par la main
- Je pressais ton bras qui tremble
- Je racontais un conte
- Je respire où tu palpites
- Je sais bien qu'il est d'usage
- Je suis enragé. J'aime
- Je suis fait d'ombre et de marbre
- Je suis naïf, toi cruelle
- Je t'aime, avec ton oeil candide
- Je travaille
- Jeanne chante ; elle se penche
- Jeanne dort
- Jeanne endormie
- Jeanne était au pain sec
- Jeanne fait son entrée
- Jeanne songeait
- Jeune fille
- Jeune fille, l'amour
- Joies du soir
- Jolies femmes
- Jour de fête
- Jour de fête aux environs de Paris

- L'aurore s'allume
- L'autre
- L'échafaud
- L'enfance
- L'enfant
- L'enfant, voyant l'aïeule
- L'expiation
- L'hirondelle au printemps
- L'ombre
- L'oubli
- L'univers, c'est un livre
- La Chouette
- La Figliola
- La Terre - Hymne
- La blanche Aminte
- La captive
- La chanson de Maglia
- La cicatrice
- La clarté du dehors
- La coccinelle
- La conscience
- La douleur du pacha
- La fête chez Thérèse
- La fiancée du timbalier
- La hache
- La méridienne du lion
- La nature
- La nature est pleine d'amour
- La nichée sous le portail
- La pauvre fleur
- La pente de la rêverie
- La plume de Satan
- La prisonnière passe
- La rose de l'infante
- La sieste
- La sortie
- La source
- La source tombait du rocher
- La statue
- La sultane favorite
- La tombe dit à la rose
- La vie aux champs
- La ville prise
- La vision de Dante
- Laetitia
- Laissez
- Lazzara
- Le Maître d'études
- Le Poëte
- Le Pont
- Le Progrès calme et fort
- Le Revenant
- Le cantique de Bethphagé
- Le champ du potier
- Le couchant flamboyait
- Le crapaud
- Le crucifix
- Le deuil
- Le doigt de la femme
- Le firmament
- Le grand homme vaincu peut perdre en un instant
- Le hibou
- Le manteau impérial
- Le matin
- Le mendiant
- Le poème éploré se lamente
- Le poète bat aux champs
- Le poète dans les révolutions
- Le poète s'en va dans les champs
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- Le sacre de la femme - Ève
- Le satyre
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- Le soleil s'est couché
- Le trouble-fête
- Le vieillard
- Les Djinns
- Les Mages
- Les Malheureux
- Les autres
- Les autres en tout sens laissent aller leur vie
- Les enfants lisent
- Les enfants pauvres
- Les femmes sont sur la terre
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- Ô gouffre !
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- Ô soldats de l'an deux !
- Ô souvenirs !
- Ô strophe du poëte
- Ô temps
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- Oh ! dis !
- Oh ! je fus comme fou
- Oh ! je fus comme fou dans le premier moment
- Oh ! n'insultez jamais une femme qui tombe
- Oh ! par nos vils plaisirs
- Oh ! pour remplir de moi
- Oh ! quand je dors
- Oh ! qui que vous soyez
- On vit, on parle ...
- Où donc est la clarté ?
- Où donc est le bonheur ?
- Oui, je suis le rêveur

- Paris bloqué
- Paris incendié
- Paroles dans l'ombre
- Paroles sur la dune
- Passé
- Pasteurs et troupeaux
- Pendant que le marin
- Pepita
- Petit Paul
- Pleurs dans la nuit
- Ponto
- Pour l'erreur, éclairer, c'est apostasier
- Prélude
- Premier janvier
- Premier mai
- Prenez garde aux choses que vous dites
- Près d'Avranches
- Printemps
- Prologue
- Promenades dans les rochers (I)
- Promenades dans les rochers (II)
- Promenades dans les rochers (III)
- Promenades dans les rochers (IV)
- Puisqu'ici-bas toute âme
- Puisque j'ai mis ma lèvre
- Puisque le juste est dans l'abîme
- Puisque mai tout en fleurs
- Puisque nos heures sont remplies
- Pure innocence

- Saison des semailles
- Sara la baigneuse
- Satan dans la nuit - I
- Satan dans la nuit - II
- Satan pardonné
- Saturne
- Seule au pied de la tour
- Soir
- Soleils couchants
- Sonnez
- Sous les arbres
- Souvenir de la nuit du 4
- Spectacle rassurant
- Spes
- Stella
- Sur la falaise
- Sur le bal de l'Hôtel de Ville
- Sur une barricade
- Suzette et Suzon

- Toi ! sois bénie à jamais !
- Tous les hommes sont l'Homme
- Toute la vie d'un coeur - 1817
- Toute la vie d'un coeur - 1819
- Toute la vie d'un coeur - 1820
- Toute la vie d'un coeur - 1822
- Toute la vie d'un coeur - 1826
- Toute la vie d'un coeur - 1833
- Toute la vie d'un coeur - 1835
- Tristesse d'Olympio
- Trois ans après
- Tu me vois bon, charmant et doux
- Tu peux, comme il te plaît, me faire jeune ou vieux
- Tu rentreras comme Voltaire

- Ultima verba
- Un grand sabre
- Un groupe tout à l'heure
- Un hymne harmonieux
- Un jour au mont Atlas
- Un jour je vis le sang couler
- Un jour, le morne esprit
- Un soir que je regardais le ciel
- Un spectre m’attendait
- Une bombe aux Feuillantines
- Une femme m'a dit ceci
- Une nuit à Bruxelles
- Une nuit qu'on entendait la mer
- Une terre au flanc maigre
- Unité