Éternels Éclairs


Almanach pour l’année passée

La bise se rue à travers
Les buissons tout noirs et tout verts,
Glaçant la neige éparpillée
Dans la campagne ensoleillée.
L’odeur est aigre près des bois,
L’horizon chante avec des voix,
Les coqs des clochers des villages
Luisent crûment sur les nuages.
C’est délicieux de marcher
À travers ce brouillard léger
Qu’un vent taquin parfois retrousse.
Ah ! fi de mon vieux feu qui tousse !
J’ai des fourmis plein les talons.
Debout, mon âme, vite, allons !
C’est le printemps sévère encore,
Mais qui par instant s’édulcore
D’un souffle tiède juste assez
Pour mieux sentir les froids passés
Et penser au Dieu de clémence ...
Va, mon âme, à l’espoir immense !

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L’espoir luit comme un brin de paille dans l’étable.
Que crains-tu de la guêpe ivre de son vol fou ?
Vois, le soleil toujours poudroie à quelque trou.
Que ne t’endormais-tu, le coude sur la table ?

Pauvre âme pâle, au moins cette eau du puits glacé,
Bois-la. Puis dors après. Allons, tu vois, je reste,
Et je dorloterai les rêves de ta sieste,
Et tu chantonneras comme un enfant bercé.

Midi sonne. De grâce, éloignez-vous, madame.
Il dort. C’est étonnant comme les pas de femme
Résonnent au cerveau des pauvres malheureux.

Midi sonne. J’ai fait arroser dans la chambre.
Va, dors ! L’espoir luit comme un caillou dans un creux.
Ah ! quand refleuriront les roses de septembre !

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Les choses qui chantent dans la tête
Alors que la mémoire est absente,
Écoutez, c’est notre sang qui chante ...
Ô musique lointaine et discrète !

Écoutez ! c’est notre sang qui pleure
Alors que notre âme s’est enfuie,
D’une voix jusqu’alors inouïe
Et qui va se taire tout à l’heure.

Frère du sang de la vigne rose,
Frère du vin de la veine noire,
Ô vin, ô sang, c’est l’apothéose !

Chantez, pleurez ! Chassez la mémoire
Et chassez l’âme, et jusqu’aux ténèbres
Magnétisez nos pauvres vertèbres.

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Ah ! vraiment c’est triste, ah ! vraiment ça finit trop mal.
Il n’est pas permis d’être à ce point infortuné.
Ah ! vraiment c’est trop la mort du naïf animal
Qui voit tout son sang couler sous son regard fané.

Londres fume et crie. Ô quelle ville de la Bible !
Le gaz flambe et nage et les enseignes sont vermeilles.
Et les maisons dans leur ratatinement terrible
Épouvantent comme un sénat de petites vieilles.

Tout l’affreux passé saute, piaule, miaule et glapit
Dans le brouillard rose et jaune et sale des sohos
Avec des indeeds et des all rights et des haôs.

Non vraiment c’est trop un martyre sans espérance,
Non vraiment cela finit trop mal, vraiment c’est triste :
Ô le feu du ciel sur cette ville de la Bible !

— Paul Verlaine,
Cellulairement

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Les Poèmes de Paul Verlaine de A à Z

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