Éternels Éclairs

Les maîtres du Haiku

Présenté par Stéphen Moysan

Qu'est-ce qu'un Haïku ?

Le haïku (俳句), terme créé par le poète Masaoka Shiki (1867-1902), est une forme poétique calligraphiée et très codifiée d'origine japonaise et dont la paternité, dans son esprit actuel, est attribuée au poète Bashō Matsuo (1644-1694). Tirant son origine du tanka, il s'agit d'un petit poème, extrêmement bref, visant à dire l'évanescence des choses. Encore appelé haïkaï (d'après le haïkaï no renga ou haïkaï-renga, forme antérieure plus triviale développée par Sōkan au XVe siècle) ou hokku (son nom d'origine), le haïku doit comporter une notion de saison (le kigo) et une césure (le kireji). Si le haïku n'indique ni saison, ni moment particulier, on l'appellera Moki ; et s'il a pour sujet les faiblesses humaines et non la nature, et qu'il est traité de manière humouristique ou satirique, on le nommera Senryū.

Les haïkus ne sont connus en Occident que depuis le début du XXe siècle. Les écrivains occidentaux ont alors tenté de s'inspirer de cette forme de poésie brève et ont la plupart du temps choisi de la transposer sous la forme d'un tercet de 5, 7 et 5 syllabes (bien que des libertés puissent être prises).

Une personne écrivant des haïkus est appelée haijin ou haidjin, et parfois également haïkiste.

Matsuo Bashō (1644–1695)

De temps en temps
Les nuages nous reposent
De tant regarder la lune.

— Matsuo Bashō

Dans le vieil étang
Une grenouille saute
- Un ploc dans l'eau.

— Matsuo Bashō

Sous la pluie d’été
Raccourcissent
Les pattes du héron.

— Matsuo Bashō

Devant l'éclair -
Sublime est celui
Qui ne sait rien !

— Matsuo Bashō

Qu'il est digne d'admiration,
Celui qui, devant l'éclair,
Ne pense pas : - Que la vie est brève !

— Matsuo Bashō

Rien ne dit
Dans le chant de la cigale
Qu’elle est près de sa fin.

— Matsuo Bashō

De quel arbre en fleur ?
Je ne sais -
Mais quel parfum !

— Matsuo Bashō

Du cœur de la pivoine
L’abeille sort -
Avec quel regret !

— Matsuo Bashō

Mes larmes grésillent
En éteignant
Les braises.

— Matsuo Bashō

Ce couchant d’automne
On dirait
Le Pays des ombres.

— Matsuo Bashō

Ce chemin -
Seule la pénombre d'automne
L'emprunte encore.

— Matsuo Bashō

La fraîcheur -
J'en fais ma demeure
Et m'assoupis.

— Matsuo Bashō

Viens -
Allons voir la neige
Jusqu'à nous ensevelir !

— Matsuo Bashō

Au printemps qui s'en va
Les oiseaux crient -
Les yeux des poissons en larmes.

— Matsuo Bashō

Yosa Buson (1716-1783)

Pour celui qui part
Pour celui qui reste -
Deux automnes.

— Yosa Buson

Soir d'automne -
Il est un bonheur aussi
Dans la solitude.

— Yosa Buson

Aux poils de la chenille
On devine que souffle
La brise matinale.

— Yosa Buson

Si profonde
Cette belle de jour
À la couleur de l'abîme !

— Yosa Buson

Chaque fleur qui tombe
Les fait vieillir davantage -
Les branches de prunier !

— Yosa Buson

Quand souffle le vent du nord -
Les feuilles mortes
Fraternisent au sud.

— Yosa Buson

Cheminant par la vaste lande
Les hauts nuages
Pèsent sur moi.

— Yosa Buson

Il est transi
De pauvreté
Ce matin d'automne.

— Yosa Buson

Un escargot !
Une corne courte, l’autre longue -
Qu’est-ce qui le trouble ?

— Yosa Buson

Dans les jeunes herbes
Le vieux saule
Oublie ses racines.

— Yosa Buson

Soir de printemps -
De bougie en bougie
La flamme se transmet.

— Yosa Buson

Le printemps qui s’éloigne
Hésite
Parmi les derniers cerisiers.

— Yosa Buson

Sur l'image sainte
Elle lâche une fiente
L'hirondelle.

— Yosa Buson

Kobayashi Issa (1763-1828)

Mon gîte au printemps
Parce qu'il n'y a rien
De rien je ne manque.

— Kobayashi Issa

Le papillon voletant –
Je me sens moi-même
Une créature de poussière

— Kobayashi Issa

Rien qui m'appartienne
Sinon la paix du coeur
Et la fraîcheur de l'air.

— Kobayashi Issa

Matin de printemps -
Mon ombre aussi
Déborde de vie !

— Kobayashi Issa

Grimpe en douceur
Petit escargot
Tu es sur le Fuji !

— Kobayashi Issa

Tuant une mouche
J'ai blessé
Une fleur.

— Kobayashi Issa

Le papillon bat des ailes
Comme s'il désespérait
De ce monde.

— Kobayashi Issa

Tous en ce monde
Sur la crête d'un enfer
À contempler les fleurs !

— Kobayashi Issa

Puisqu’il le faut
Entraînons-nous à mourir
À l’ombre des fleurs.

— Kobayashi Issa

On vieillit -
Même la longueur du jour
Est source de larmes.

— Kobayashi Issa

Par un pet de cheval
Éveillé
J'ai vu des lucioles voler.

— Kobayashi Issa

J’ai emprunté ma chaumière
Aux puces et aux moustiques
Et j’ai dormi.

— Kobayashi Issa

Sous l’averse
Il a la goutte au nez
L’épouvantail.

— Kobayashi Issa

Envolée
La première luciole -
Du vent dans ma main !

— Kobayashi Issa

Couvert de papillons -
L'arbre mort
Est en fleurs !

— Kobayashi Issa

Papillon voltige
Dans un monde
Sans espoir.

— Kobayashi Issa

Sur la montagne
La lune éclaire aussi -
Le voleur de fleurs.

— Kobayashi Issa

Masaoka Shiki (1866-1909)

Nuit brève -
Combien de jours
Encore à vivre.

— Masaoka Shiki

Solitude
Après le feu d'artifice
Une étoile filante.

— Masaoka Shiki

L’herbe des champs
Libère sous mes semelles
Son parfum.

— Masaoka Shiki

Le long de la rivière
Je n’ai vu aucun pont -
Ce jour est sans fin.

— Masaoka Shiki

Une carpe saute -
Des rides
À la lune d'automne.

— Masaoka Shiki

Une luciole
Dans ma main -
Lumière froide.

— Masaoka Shiki

Longue nuit -
Le singe rêve au moyen
D'attraper la lune.

— Masaoka Shiki

Au Bouddha
Je montre mes fesses -
La lune est fraîche !

— Masaoka Shiki

J’épluche une poire
Du tranchant de la lame
Le goutte à goutte sucré.

— Masaoka Shiki

Je me remets, oui -
Mais mes yeux sont fatigués
De ne voir que des roses !

— Masaoka Shiki

Taneda Santoka (1882-1939)

Me voici
Là où le bleu de la mer
Est sans limite.

— Taneda Santoka

Toute la journée
Sans un mot -
Le bruit des vagues.

— Taneda Santoka

En pleine chaleur -
Que je pleure ou que je ris
Toujours aussi seul.

— Taneda Santoka

Des bites et des chattes
En train de bouillir -
Affluence au bain public.

— Taneda Santoka

Une pierre pour oreiller
J’accompagne
Les nuages.

— Taneda Santoka

Soudain
Une ombre passe
- Le vent.

— Taneda Santoka

Rien de plus facile à dire
Ni de plus difficile à faire
Que de lâcher prise.

— Taneda Santoka

Le corbeau croasse,
Le corbeau vole,
Nulle part où se fixer.

— Taneda Santoka

Qu'y faire ?
Sur mes contradictions
Le vent souffle.

— Taneda Santoka

Dans mon bol de fer
En guise d’aumône
La grêle.

— Taneda Santoka

Boue
Qui s’écoule -
S’éclaircit.

— Taneda Santoka

Dans le vent d'automne
Où que j'aille
Jusqu'où aller ?

— Taneda Santoka
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