Éternels Éclairs


Chanson du bol de punch

Je suis la flamme bleue.
J'habite la banlieue,
Le vallon, le coteau ;
Sous l'if et le mélèze,
J'erre au Père-Lachaise,
J'erre au Campo-Santo.

L'eau brille au crépuscule ;
Le passant sur sa mule
Fait un signe de croix ;
Son chien baisse la queue ;
Je suis la flamme bleue
Qui danse au fond des bois.

La nuit étend son aile ;
De Profundis se mêle
À Traderidera ;
Les morts ouvrent leur bière.
Spectres, au cimetière !
Masques, à l'Opéra !

Garçon, du punch ! j'arrive !
Je suis le bleu convive,
L'esprit des lacs blafards,
Le nain des joncs moroses ;
Je viens baiser les roses
Après les nénuphars.

Buvez, fils et donzelles !
D'autres ont été belles,
D'autres ont été beaux ;
Riez, joyeuses troupes !
Pour danser sur vos coupes
Je sors de leurs tombeaux.

Monte à ta chambre, apporte
Ton charbon, clos ta porte,
Allume ; c'est le soir.
Regarde dans ton bouge,
Comme un masque à l'oeil rouge,
Flamber ton réchaud noir.

D'autres boivent ; dans l'ombre,
Toi, tu meurs ; ton oeil sombre
S'éteint, ton front pâlit ;
Je suis là, je t'éclaire,
Et j'ai quitté leur verre
Pour danser sur ton lit.

— Victor Hugo,
Toute la lyre

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