Éternels Éclairs


Vieux Coppées

Pour charmer tes ennuis, ô temps qui nous dévastes,
Je veux, durant cent vers coupés en dizains chastes
Comme les ronds égaux d’un même saucisson,
Servir aux amateurs un plat de ma façon.
Tout désir un peu sot, toute idée un peu bête
Et tout ressouvenir stupide mais honnête
Composeront le fier menu qu’on va licher.
Muse, accours, donne-moi ton ut le plus léger,
Et chantons notre gamme en notes bien égales,
À l’instar de Monsieur Coppée et des cigales.


Les passages Choiseul aux odeurs de jadis
Où sont-ils ? En hiver de ce Soixante-Dix
On s’amusait. J’étais républicain, Leconte
De Lisle aussi, ce cher Lemerre étant archonte
De droit, et l’on faisait chacun son acte en vers.
Jours enfuis ! Quels Autans soufflèrent à travers
La montagne ! Le Maître est décoré comme une
Châsse, et n’a pas encor digéré la commune.
Tous sont toqués, et moi qui chantais aux temps chauds,
Je danse sur la paille humide des cachots.


Vers Saint-Denis c’est bête et sale la campagne.
C’est pourtant là qu’un jour j’emmenai ma compagne.
Nous étions de mauvaise humeur et querellions.
Un plat soleil d’été tartinait ses rayons
Sur la plaine séchée ainsi qu’une rôtie.
C’était pas trop après le Siège : une partie
Des « maisons de campagne » était à terre encor,
D’autres se relevaient comme on hisse un décor,
Et des obus tout neufs encastrés aux pilastres
Portaient écrit autour : Souvenir des désastres.


« Assez des Gambettards ! Ôtez-moi cet objet,
Dit le père Duchêne, un jour qu’il enrageait.
Tout plutôt qu’eux ! Ce sont les bougres de naissance.
Bourgeois vessards ! Ça dut tenir des lieux d’aisance
Dans ces mondes antérieurs dont je me fous !
J’en-foutres, qui, tandis qu’on La confessait sous
Les balles, cherchaient des alibis dans la foire !
Ah ! tous ! Badingue Quatre, Orléans et sa poire
(Pour la soif), la béquille à Chambord, Attila !
Mais, mais, mais ! pas de ces La-Réveillères-là. »


Las ! je suis à l’Index et dans les dédicaces
Me voici Paul V ... pur et simple. Les audaces
De mes amis, tant les éditeurs sont des saints,
Doivent éliminer mon nom de leurs desseins,
Extraordinaire et saponaire tonnerre
D’une excommunication que je vénère
Au point d’en faire des fautes de quantité !
Vrai, si je n’étais pas (forcément) désisté
Des choses, j’aimerais, surtout m’étant contraire,
Cette pudeur du moins si rare de libraire.


Je suis né romantique et j’eusse été fatal
En un frac très étroit aux boutons de métal,
Avec ma barbe en pointe et mes cheveux en brosse.
Hablant español, très loyal et très féroce,
L’œil idoine à l’œillade et chargé de défis.
Beautés mises à mal et bourgeois déconfits
Eussent bondé ma vie et soûlé mon cœur d’homme.
Pâle et jaune, d’ailleurs, et taciturne comme
Un infant scrofuleux dans un Escurial ...
Et puis j’eusse été si féroce et si loyal !


L’aile où je suis donnant juste sur une gare,
J’entends de nuit (mes nuits sont blanches) la bagarre
Des machines qu’on chauffe et des trains ajustés,
Et vraiment c’est des bruits de nids répercutés
À des cieux de fonte et de verre et gras de houille.
Vous n’imaginez pas comme cela gazouille
Et comme l’on dirait des efforts d’oiselets
Vers des vols tout prochains à des cieux violets
Encore et que le point du jour éclaire à peine.
Ô ces wagons qui vont dévaler dans la plaine !


Ô Belgique qui m’as valu ce dur loisir,
Merci ! J’ai pu du moins réfléchir et saisir
Dans le silence doux et blanc de tes cellules
Les raisons qui fuyaient comme des libellules
À travers les roseaux bavards d’un monde vain,
Les raisons de mon être éternel et divin,
Et les étiqueter comme en un beau musée
Dans les cases en fin cristal de ma pensée.
Mais, ô Belgique, assez de ce huis-clos têtu !
Ouvre enfin, car c’est bon pour une fois, sais-tu !


Depuis un an et plus je n’ai pas vu la queue
D’un journal. Est-ce assez Bibliothèque bleue ?
Parfois je me dis à part moi : « L’eusses-tu cru ? ... »
Eh bien, l’on n’en meurt pas. D’abord c’est un peu cru,
Un peu bien blanc, et l’œil habitueux s’en fâche.
Mais l’esprit ! comme il rit et triomphe, le lâche !
Et puis, c’est un plaisir patriotique et sain
De ne plus rien savoir de ce siècle assassin
Et de ne suivre plus dans sa dernière transe
Cette agonie épouvantable de la France.


Endiguons les ruisseaux : les prés burent assez.
Bonsoir lecteur, et vous lectrice qui pensez
D’ailleurs bien plus à Worth qu’aux sons de ma guimbarde
Agréez le salut respectueux du barde
Indigne de vos yeux abaissés un instant
Sur ces cent vers que scande un rhythme équilistant ;
Et vous, protes, n’allez pas rendre encore pire
Qu’il ne l’est, ce pastiche infâme d’une lyre
Dûment appréciée entre tous gens de goût
Par des coquilles trop navrantes. - Et c’est tout ! -

— Paul Verlaine,
Cellulairement

Du même auteur

Les Poèmes de Paul Verlaine de A à Z

}